mai 1968 en France
la critique de l'université bourgeoisepp. 44-45
Tout, le meilleur et le pire, est sorti du mouvement de mai 68 en France. Pour nous, ce mouvement restera avant tout la preuve vivante du potentiel révolutionnaire de la classe ouvrière dans une société dite de consommation.
Le texte qui suit montre à la fois la profondeur de la remise en cause de l'université bourgeoise et certaines contradictions internes. Depuis, le courant scientiste a sombré dans l'opportunisme d'un Garaudy, et les disciples anarchistes de Marcuse dans les bras de la CIA. Seule émerge la nécessité de la direction du prolétariat.
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« L'université française de 1968 tendant à s'intégrer le plus parfaitement possible dans le système de production capitaliste est une Université de classe. Il faut voir que si l'opposition sociale était, dans le système féodal, liée au sang, à la naissance, au XIXe siècle celle des patrons et des ouvriers, elle tend à être aujourd'hui opposition entre celui qui sait et celui qui ne sait pas ; impliquant le pouvoir du premier sur le second.
« Que la connaissance, les sciences soient « pures », c'est ce dont on doute de plus en plus avec la certitude qu'elle ne l'est pas dans le cas de l'histoire et de la sociologie (si tant est que la sociologie soit une science). De toute façon la science peut être orientée dans le sens voulu par le pouvoir (financement des recherches en chimie nucléaire aux dépens d'autres branches). Le devenir des étudiants est donc un devenir de « chiens de garde », véhicules de l'idéologie bourgeoise, privilégiés de par la possession de cette idéologie, cadres.
« Mais pour l'étudiant, pour certains étudiants, tout n'est pas encore joué, une « critique » est possible. Mais l'est-elle réellement partant d'eux, des étudiants et a fortiori à l'intérieur même de l'Université bourgeoise ?
« Dès le départ nous entrevoyons que cette critique est limitée. C'est-à-dire que: ni pratiquement, ni théoriquement on ne peut créer un îlot socialiste à l'intérieur d'une société capitaliste, et que de toute façon la force motrice de la transformation de la société ce ne sont pas les étudiants mais les travailleurs.
« Quelle peut donc être la valeur d'une critique formulée par les étudiants à l'intérieur de l'Université bourgeoise?
« Elle peut faire prendre conscience aux étudiants du rôle de l'Université dans la société capitaliste.
« Un exemple: le cas de l'Allemagne. Le développement industriel de l'Europe demande des « technocrates ». Les structures de l'Université ouest-allemande sont des structures féodales. Tout le monde sent la nécessité d'une réforme et que cette réforme va conduire à une Université « technocratique » que les étudiants refusent. L'Allemagne de l'Ouest a pu vivre un temps où les technocrates qu'elle employait pouvaient être « est-allemands ». Le « Mur », en même temps qu'il mettait fin à cette situation, provoquait la création d' « Instituts » destinés à produire des cadres et la mise en place d'un système d'examens « partiels » visant aux mêmes fins par l'accentuation de la sélection à tous les échelons. Les réactions des étudiants ne se firent pas attendre: « agitation » dans les cours, blocage des examens et création à l'intérieur même de l'Université d'une Université critique.
« Le déclenchement de discussions « illégales » à l'intérieur de l'Université entraîne l'appel de la police. Est alors révélé clairement aux étudiants le lien entre l'Université et le « Pouvoir ».
« L'Université critique se développe d'abord dans l'Université: les salles sont fermées. Les étudiants transportent alors celle-ci au-dehors.
« Deux sortes de cours sont au programme de l'Université critique : des cours parallèles à ceux de l'Université, mais cours de critique de l'idéologie (anti-cours), et des cours de « relation entre pratique et théorie », par analyse des problèmes structurels et des problèmes concrets dans les industries berlinoises ; à ces derniers participent de jeunes travailleurs.
« Développer à l'intérieur même de l'Université une critique et que cette critique ait une base suppose la « prolétarisation » des intellectuels. Contrairement à l'époque de Marx, la science aurait pris aujourd'hui une importance fondamentale dans le développement des forces productives ; de là la production de biens intellectuels (type de « brevet d'une invention ») se ferait par l'exploitation des scientifiques. Ce qui entraînerait pour ces derniers un statut de prolétaires, les étudiants dans leurs futures fonctions seraient amenés à être exploités, donc seraient prolétarisés. La lutte n'étant plus à mener contre les patrons simplement, mais contre tout le système: de là la nécessité de grèves communes ouvriers-étudiants (comme en Espagne).
« Cette critique de l'Université ne sera pas mise sur le même plan que les autres théories et aboutira à une prise de conscience politique de l'étudiant si, et seulement si, cette critique représente la systématisation d'un intérêt de classe de tous les étudiants, à savoir étudiants prolétarisés et objectivement exploités.
« Si, au contraire, on admet que le devenir de classe des étudiants est d'être aux côtés de la bourgeoisie dans son exploitation, les étudiants n'ont alors pas un intérêt commun, un intérêt de classe.
« La prise de conscience politique des étudiants, prise de conscience effective n'est alors possible que par un lien réel avec la force révolutionnaire de fait : les travailleurs.
« L'Université a finalement pour but d'exploiter les travailleurs et rien qu'eux. La seule « critique » possible de cette Université ne pourra venir que des travailleurs. Le vrai rôle des étudiants progressistes est donc de se mettre dès à présent au service des travailleurs, ce qui signifie : populariser leur lutte et les soutenir matériellement et politiquement, la popularisation des luttes se faisant sous l'autorité des ouvriers eux-mêmes. (...) »
Cela, c'était la théorie. Le mois de mai devait permettre aux étudiants de la vérifier.
(D'après « Les Idées de Mai » de Sylvain Zegel.
Gallimard. Collec. Idées. 1968)