l'université
au service
de l'impérialisme

pp. 41-43

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     Etant donné sa condition d'organisation gouvernementale nord-américaine la plus engagée dans la recollection d'informations à l'étranger, l'Agence Centrale de Renseignements a constitué, au long des années, une immense communauté du renseignement au sein du monde universitaire. La CIA a été fondée et est contrôlée par des membres de la grande bourgeoisie, dont les entreprises travaillent surtout à l'échelle mondiale. Ils ont besoin des meilleurs renseignements possibles pour conduire leur empire, aussi consacrent-ils beaucoup de temps et de grosses sommes d'argent pour se tenir au courant de toutes les recherches qui se font aux Etats-Unis et à l'étranger. Ils maintiennent des contacts secrets et parfois ouverts avec les recherches des agences gouvernementales et les recherches patronnées par les fondations privées (comme par exemple les fondations Rockefeller et Ford), avec les instituts et les centres de recherches, les universités, les associations professionnelles et les maisons d'édition. La plupart de ces contacts, aussi bien dans le pays qu'à l'étranger, se font à travers des ex-employés du Bureau des Services Stratégiques (OSS), de la CIA ou du Bureau de Renseignements et de Recherches du Département d'Etat. A travers ce réseau, ils peuvent résoudre le financement et le recrutement de personnel de confiance et contrôler la diffusion des résultats finaux. Leur position de commandement leur permet, en effet, de manipuler la politique des recherches académiques.

     Par exemple, ils visitent tous les ans l'université de Michigan et parlent avec les experts en sciences sociales. Ils les invitent à dîner : un soir ils invitent les sociologues, un autre soir les anthropologues et un autre soir les spécialistes en sciences politiques. Ce sont deux agents de la CIA, bien vêtus, avec un aspect de gentlemen très respectables ; ils vont dans certains restaurants et ils demandent aux professeurs ce qu'ils ont fait au cours de l'année dernière, quel genre de recherches ils aimeraient faire, s'ils ont de l'argent, etc. Les agents essayent aussi de voir quels étudiants ils pourraient recruter avec profit pour l'Agence.

     La plupart des projets de recherches de sciences sociales ont plutôt une portée limitée, parfois même ésotérique, et les chercheurs ne comprennent pas toujours leurs implications politiques globales. Un anthropologue qui reçoit une donation de la Fondation Ford pour étudier les modèles de travail dans le nord-est de la Thaïlande estime qu'il s'agit là d'un projet neutre. Mais, naturellement, la CIA et le Département de la Défense savent comment ce projet particulier s'encastre dans la stratégie globale de la contre-insurrection, où l'on étudie toutes les facettes de la vie thaïlandaise pour combattre le mouvement de libération. Par exemple, dans le cas de la Thaïlande, il y a actuellement en cours plusieurs projets de recherches contre-révolutionnaires, parmi lesquels « Besoins du trafic de communications pour soutenir les opérations de contre-insurrection contre une insurrection d'un niveau moyen » et « Rapport des troupes nord-américaines et de la communauté ». Mais l'anthropologue, en général, s'intéresse de toutes façons au sujet, il fait un voyage jusqu'en Thaïlande, il fait des recherches pendant une durée de six à sept mois sur le terrain, il recueille les renseignements et il revient. Quand il revient, il est interrogé, généralement par l'Agence Centrale de Renseignements, directement ou indirectement.

     Si l'argent provient de la Fondation Ford et qu'il remet son rapport à la Fondation Ford, un rapport privé ou public, celui-ci est immédiatement transmis à la CIA. S'il donne une conférence à la Fondation Ford, à son retour, pour informer les scientifiques de cette Fondation sur les changements politiques en Thaïlande, celle-ci passe à Langley, Virginie, où se trouve le quartier général de la CIA. Toutes les recherches qui se font aux Etats-Unis passent à l'Agence Centrale de Renseignements...

     Les fondations Rockefeller et Ford canalisent aussi les recherches à travers les universités, selon les besoins du système impérialiste. Elles accordent des bourses, donnent des fonds pour les recherches, tiennent des séminaires et des réunions, donnent de l'argent aux organisations professionnelles, etc., activités qui leur permettent de modeler et de canaliser les efforts de recherches des intellectuels. En outre, il y a d'autres instituts et organisations dits non-lucratifs, non-gouvernementaux, qui réussissent à amener les intellectuels au service du pouvoir de l'élite industrielle. En ce qui concerne les affaires africaines, un des plus efficaces est l'African-American Institute (AAI) avec des bureaux à New York, fondé par la CIA et financé actuellement par la Fondation Ford et par le Gouvernement des Etats-Unis. C'est là un institut qui essaye d'intéresser les intellectuels nord-américains à l'Afrique. Il fait venir beaucoup d'Africains aux Etats-Unis, il finance des recherches aux Etats-Unis sur les problèmes africains, des conférences avec des diplomates et des fonctionnaires gouvernementaux africains, accorde des voyages en Afrique, aux universitaires nord-américains. L'AAI est contrôlé par un comité directeur au sein duquel figurent des fonctionnaires de compagnies telles que l'American Metal Climax Corporation (qui a de grands intérêts en Afrique) et Englehard Industries (active en Afrique du Sud). Une fois de plus, l'idée, c'est que nous devons augmenter nos connaissances de ces régions pour stabiliser et contrôler efficacement leurs gouvernements.

     En Amérique latine, il existe le Center for Inter-American Relations, une institution Rockefeller. Récemment, par exemple, Ford a fait don de 125.000 dollars pour étudier Cuba. En d'autres termes, la fondation donne cet argent à l'institut et lui dit : « Faites des donations aux professeurs nord-américains pour augmenter l'activité intellectuelle autour de Cuba ». Les grandes entreprises sont très intéressées par cela, parce qu'on se rend compte qu'aux Etats-Unis, il y a très peu d'informations sur ce qui se passe en réalité à Cuba. Les informations, on peut les obtenir aux sources gouvernementales, mais on sait que généralement ces sources sont « retouchées ». Les leaders du pouvoir nord-américains sont assez complexes pour vouloir obtenir des renseignements exacts.

     Quand je dis « retouchées », je veux dire émises à partir de préjugés ou influencées par un intérêt, par exemple par les militaires. Les militaires peuvent faire une analyse de ce qui se passe en Colombie, mais cette analyse serait étroite dans sa conception, provinciale, ils sont incapables de faire un tableau plus vaste. Là-bas, il y a le monde des démocrates chrétiens, des forces travaillistes libérales, des étudiants, mais les militaires nord-américains ont une compréhension limitée de ce monde. Un institut qui travaille avec des universitaires, d'autre part, peut essayer d'obtenir spécifiquement une autre gamme de renseignements et en outre il peut obtenir des renseignements des Colombiens, parce qu'il paraît moins politique. Par exemple, si l'on veut obtenir des entretiens avec des groupes d'étudiants en Colombie, on ne va pas là-bas en tant qu'officier de l'armée, parce qu'on sait que, traditionnellement, les étudiants colombiens refusent de parler avec les officiers de l'armée nord-américaine. Mais, par contre, ils pourraient être intéressés de parler avec des universitaires nord-américains qui se présentent comme des gens étant eux-mêmes intéressés par les problèmes de la Colombie. Je ne pense pas que les étudiants colombiens soient naïfs au point de croire que tous les professeurs nord-américains sont leurs amis, mais je crois qu'il y a plus de chances qu'ils acceptent de discuter de quelque chose avec un universitaire ou un journaliste. En outre, les fondations ont aussi des fonctionnaires à l'étranger; par exemple, Rockefeller a de vastes bureaux au Chili et a fondé des centres d'études à l'étranger tout comme aux Etats-Unis. Le problème de la population et de la démographie, par exemple, est d'une importance primordiale.

     Le Population Council, fondé au début des années 50 par Rockefeller, est très important parce que le problème des changements de population, du taux des naissances, les questions de santé, de salubrité, sont des préoccupations essentielles pour le développement. Eh bien, qui va recueillir ces statistiques de population et, en outre, formuler des politiques qui permettent de manipuler mieux le développement, de façon avantageuse pour les entreprises nord-américaines ? On veut savoir ce qu'il faut faire, s'il faut réduire le taux de la natalité — c'est la conclusion à laquelle on arrive naturellement — pour réduire « l'explosion » démographique, comme ils disent, et augmenter le ravitaillement en nourriture per capita. C'est là leur réponse à la situation en Amérique latine. Nous autres, bien sûr, nous nous rendons compte que c'est une réponse raciste aux aspirations du Tiers-Monde et nous la rejetons. Mais l'élite nord-américaine, pour pouvoir mener à bien sa politique, a besoin d'être bien informée et pour cela, elle a créé tout un institut qui se consacre aux études de la population et qui dépense un million de dollars par an pour recueillir, imprimer et diffuser des informations sur la population. En outre, elle établit des instituts et des départements entiers à l'intérieur des universités de toute la nation.

     L'université de Michigan a un centre d'études de la population, le plus grand des Etats-Unis. Là, il se fait un travail plus compliqué. Entre autres, des recherches pour recueillir des données sur l'attitude des mères vis-à-vis de la natalité. Pour pouvoir formuler des politiques, on a besoin d'avoir des renseignements. La question de la propriété de la terre et de la réforme agraire, qui est cruciale dans n'importe quel pays en développement, requiert des études. Un centre compliqué d'études sur la propriété de la terre a été créé à l'université de Wisconsin ; il se consacre totalement à recueillir des renseignements et à la formulation de politiques sur la distribution de la terre en Amérique latine et en Afrique.

     La question du travail est importante aussi. Comment créer un marché du travail stable dans un pays en voie de développement, afin de fournir une force de travail aux entreprises nord-américaines, une force de travail à bon marché ? On a créé des instituts où l'on envoie les représentants des syndicats nord-américains pour que ceux-ci dirigent des programmes de recherches et de formation et exercent une influence sur les groupes de travailleurs à l'étranger. L'université de Cornell a le plus fameux d'entre eux, l'Institute for Industrial and Labor Relations.

     L'université de Californie à Berkeley, a aussi un énorme institut du travail. Telle est la technique au moyen de laquelle l'élite a recruté l'intellectuel nord-américain pour servir l'impérialisme.

                                                                       (Extraits d'une interview des journalistes
                                                                       américains Michael Locker et Allen Young
                                                                       à une grande revue du Tiers-Monde, 1969
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       palestina

       revue mensuelle consacrée à la Palestine
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       Publiée par le Comité Italien de Solidarité avec
       le Peuple Palestinien

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