souffles
numéro spécial 15, 3e trimestre 1969

mostefa lacheraf : réflexions autour de la crise du Proche-Orient et du conflit impérialisme-tiers-monde (1)
pp. 45-50

 

     Les leçons que nous pouvons tirer du dernier conflit du Proche Orient sont toutes significatives d'un problème d'hégémonie mondiale dont les aspects, les points «chauds» ou «froids», se trouvent épars ici et là, à travers, notamment, les trois continents les moins développés: l'Asie, l'Afrique et l'Amérique Latine. Cette hégémonie planétaire qui cherche à s'imposer partout sous l'impulsion d'un capitalisme saturé de moyens, parvenu à son point culminant, expansif et armé, est d'autant plus en situation de crise et d'agressivité qu'elle s'affronte aux nouvelles sociétés progressistes du Tiers-Monde qui ont surgi, précisément, après la débâcle des 20 dernières années et se situent, par voie de conséquence, dans une ligne non capitaliste.

     Le phénomène de cette hégémonie en expansion, qui avait pris des formes plus paternalistes au moment de la libération des peuples opprimés d'Afrique et d'Asie, obéit désormais à une tendance agressive extrême devant l'éveil d'une nouvelle conscience internationale au niveau des masses travailleuses et des directions politiques populaires qui veulent édifier le socialisme dans leurs pays respectifs. En effet, pour les masses exploitées et pour les jeunes directions politiques des pays libérés de la domination étrangère, la seule réponse au sous-développement hérité de l'ancien ordre colonial, et le seul remède à une arriération séculaire imposée de l'extérieur, consistent à oeuvrer pour l'avènement d'une société humaine orientée vers le progrès et la justice sociale. Or, l'impérialisme qui voit échapper à sa tutelle des continents entiers est, de plus, effrayé à l'idée que des idéologies émancipatrices et pacifiques, et des mouvements révolutionnaires socio-économiques issus des masses elles-mêmes vont à jamais, et dans un proche avenir, mettre fin à ses aventures bellicistes et à l'exploitation honteuse dont il tire sa raison d'être. Pour cela, jouant le tout pour le tout et sentant ses privilèges injustes gravement menacés par la montée de forces jeunes dans le Tiers-Monde, il passe du stade du paternalisme classique à l'agression ouverte contre les pays engagés dans la voie non capitaliste de développement. Cette hégémonie agressive, dernière-née des grandes entreprises d'expansion du XXe siècle, avait d'abord profité de l'élimination des colonialismes européens pour essayer de les supplanter habilement en usant de moyens pseudo-libéraux auprès des pays anciennement colonisés. Puis, échouant dans sa tentative d'apprivoisement, devant la détermination des peuples libérés à sauvegarder leur indépendance et leur choix politique et social, l'impérialisme a purement et simplement relayé ou utilisé à son profit les systèmes colonialistes disparus et leurs méthodes d'intervention directe. C'est dire que le conflit du Proche Orient est un aspect d'un ensemble dont le point de gravité se situe au Vietnam et dont les autres points, apparemment moins névralgiques, constituent autant de repères dans l'offensive générale de l'impérialisme, aussi bien à l'intérieur du monde occidental qu'à l'extérieur, sur le plan des masses travailleuses d'Europe et d'Amérique, et sur celui des peuples nouvellement indépendants.

     Les réflexions suivantes, exposées sommairement et un peu au hasard, contribueront peut-être à éclairer pour le lecteur un des problèmes les plus complexes et les plus injustement méconnus de notre époque:

1 - Il est indéniable que l'agression au Vietnam qui s'effectue depuis des années à l'aide de moyens gigantesques de terreur, avec l'approbation tacite ou active de certaines puissances occidentales, se trouve également stimulée par sa propre logique d'hégémonie capitaliste et le souci stratégique d'assurer ses arrières par le moyen d'un problème complètement truqué: celui d'Israël et de ses provocations. L'Europe occidentale a été, à un moment de son histoire contemporaine, victime de l'occupation nazie et se trouve ainsi plus ou moins traumatisée par les souvenirs de cette occupation barbare. En outre, certains gouvernements fantoches de l'Europe occidentale pendant la période hitlérienne ont aidé le nazisme à persécuter et à massacrer les Juifs. On peut affirmer sans être démentis que chaque pays européen a donné aux camps de concentration et aux fours crématoires nazis son contingent de Juifs, et cela avec la lâche complicité de ses citoyens abusés par les slogans criminels de supériorité raciale et de «civilisation occidentale».

2 - Aujourd'hui, l'Europe occidentale, qui fut pourtant asservie par le nazisme, fait agir les mêmes slogans criminels contre les Arabes pour soulager sa mauvaise conscience. Mais son paradoxal sentiment de culpabilité, qui la pousse à remplacer un racisme par un autre, lui fait aussi oublier que c'est son grand allié, l'impérialisme, qui est le premier responsable de la renaissance en Europe même d'un péril revanchard issu d'une ancienne hégémonie totalitaire.

3 - De même que l'Europe capitaliste, pour tenter d'enrayer le mouvement des masses populaires dans leur lutte d'émancipation sociale et d'indépendance nationale, a accepté de voir renaître chez elle, avec l'appui de l'étranger, le péril revanchard en question, de la même façon elle a suscité et encouragé à l'instigation de l'impérialisme la constitution d'Israël à des fins coloniales, comme un instrument de guerre et d'agression destiné à contrecarrer le mouvement progressiste des pays arabes.

4 - Il est évident que l'impérialisme, dans sa politique d'agression armée et d'offensive réactionnaire, avec la complicité avouée ou abusée d'une partie de l'Europe occidentale qui se résigne mal à la perte de ses colonies, fait tout pour empêcher les élites de gauche, les démocrates et les masses travailleuses d'Europe, de joindre leur lutte à celles du Tiers-Monde en Afrique, en Asie et en Amérique Latine.

5 - Mais si les pays du Tiers-Monde anciennement colonisés et dont la lutte de libération anti-impérialiste a marqué un tournant dans l'histoire moderne n'ont plus de complexes et veulent mener jusqu'au bout cet effort opiniâtre de décolonisation en affirmant leurs droits à l'indépendance, à la souveraineté, au progrès sous toutes ses formes, il n'en est malheureusement pas de même pour les classes moyennes de l'Occident que l'impérialisme tend à vouloir intéresser de plus en plus à sa prospérité d'exploitation, à sa culture affective de suprématie, à sa stratégie anti-progressiste de domination mondiale tout en jouant sur leurs sentiments souvent sincères et en les mystifiant par une propagande chauvine.

6 - Pour cela, et voyant que sa cause au Vietnam est humainement indéfendable et risque d'enliser ses forces et de le discréditer aux yeux d'une opinion internationale de plus en plus excédée par ses crimes, il a recours aujourd'hui à une agressive politique d'arrière-garde au Proche Orient - et demain peut-être en Amérique Latine en faisant appel à des considérations équivoques auxquelles les classes moyennes, insuffisamment dégagées de la social-démocratie de naguère et de la notion de suprématie occidentale, sont encore sensibles.

7 - C'est en somme l'enjeu qui consiste, pour l'impérialisme: 1º) à séparer les classes moyennes petites-bourgeoises des masses populaires travailleuses en faussant les affinités et moyens d'entente objectifs qui peuvent les unir contre lui, 2º) en séparant ces classes moyennes et populaires qui sont susceptibles de s'unir, de la perspective d'un combat commun à mener avec les classes exploitées et opprimées du TiersMonde, 3º) à exploiter le malheureux conflit sino-soviétique et les divergences relatives à l'opportunité ou non de la lutte armée et à la participation dynamique du milieu rural à la révolution libératrice.

     Les pays arabes, qui sont actuellement l'un des objectifs majeurs de l'offensive impérialiste et de l'agression, appartiennent tous à l'ancien monde colonisé ou dominé par l'Occident. Une longue domination étrangère suivie d'efforts incessants et difficiles pour se libérer et prendre en mains leur propre destin n'ont pas affaibli chez eux une volonté de lutte au service d'une juste cause. Malgré les revers qu'ils ont subis, les pays arabes constituent une avant-garde dans tout le Tiers-Monde en même temps qu'un objet d'irritation et de convoitise et un obstacle à l'hégémonie expansionniste de l'Occident à cause, précisément, de leur position géographique privilégiée autour du Bassin méditerranéen, de leurs richesses naturelles, de leur amitié pour le camp socialiste, de la lutte qu'ils mènent contre leurs propres féodaux alliés au capitalisme occidental. Sans aller jusqu'aux Croisades, aux invasions mongoles et tartares, et à la domination ottomane qui leur ont attirés les pires catastrophes, mais ne sont jamais parvenues à détruire leur entité nationale et leur esprit combatif, les Arabes sont engagés depuis plus d'un siècle dans un mouvement d'émancipation qui ne cesse d'être contrarié ou combattu par l'impérialisme-colonialisme. Fait très significatif, à deux reprises en l'espace de cinquante ans et au lendemain de chacune des deux guerres mondiales auxquelles ils ont participé aux côtés des Alliés pour la défense du Droit, les Arabes se sont vu joués par les occidentaux qu'ils avaient pourtant aidés à vaincre leurs ennemis. La première fois, la «Révolte Arabe», déclenchée en 1916 pour appuyer les Anglo-Français au cours de la guerre a abouti, malgré les promesses solennelles, à un partage de l'empire ottoman au profit de ces mêmes Anglo-Français. La deuxième fois, les pays arabes engagés militairement (Algérie, Tunisie, Maroc) ou politiquement (Egypte) dans la guerre contre l'Allemagne hitlérienne ont vu leur grande patrie amputée injustement de la Palestine au profit des Sionistes. En effet, si en deux circonstances historiques l'Occident a frustré les Arabes de leurs droits souverains et d'une partie de leur territoire national, c'était uniquement pour faire obstacle à la nécessaire révolution politique, économique et sociale de leurs pays longtemps assujettis.

8 - Le sionisme, a été l'un des instruments utilisés par l'hégémonie expansionniste de l'Occident pour freiner la marche en avant des peuples arabes et créer, au coeur même de leurs terres à peine libérées, une tête de pont pour d'éventuelles agressions. Sa dialectique, essentiellement coloniale et chauvine, l'a mené inéluctablement à s'approprier un pays et à s'y étendre aux dépens de deux millions de ses habitants légitimes qui vivent actuellement à l'état de réfugiés et de proscrits. Les Arabes, qui ont souffert au cours des siècles de dominations étrangères successives et perdu des millions des leurs, comme en Algérie et en d'autres lieux, n'ont aucun complexe pour dire qu'Israël, en exploitant les souffrances réelles des Juifs et les persécutions dont ils furent victimes de la part de l'Occident, s'est constitué directement en tant qu'auxiliaire actif et raciste de l'impérialisme occidental au Proche Orient. Nous pouvons d'autant plus le dire sans éprouver de gêne, que ce ne sont pas les Arabes qui ont exterminé les Juifs, mais toute l'Europe directement ou indirectement complice d'Hitler, livrant lâchement ses minorités israélites aux camps de concentration nazis. Ainsi, les Arabes qui n'ont jamais participé à ce génocide colossal et qui ont eux-mêmes subi les persécutions colonialistes et les crimes des guerres de conquête, ont dû, une fois de plus, faire les frais de la mauvaise conscience occidentale et du sentiment de culpabilité qui a toujours animé l'Europe chrétienne à l'égard des Juifs. Aussi, l'Europe a-t-elle tenu à faire réparer ses propres injustices historiques par d'autres qu'elle-même, substituant au racisme anti-juif, l'oppression anti-arabe.

9 - En résumé, et à travers le cas d'Israël, ce qui peut apparaître comme un paradoxe parce que trop d'éléments affectifs en masquent la réalité, n'est que le résultat d'une situation dialectique objective: celle d'une nouvelle entreprise coloniale à l'époque de la décolonisation; celle d'une intervention directe de l'impérialisme qui use de capitaux et d'armes infernales pour s'assurer d'une tête de pont dans la base la plus avancée du Tiers-Monde; celle, infailliblement, de la résurgence du racisme et de l'aventure fasciste au Proche Orient face au mouvement révolutionnaire des peuples arabes opprimés et spoliés.

10 - Les leçons de la guerre algérienne de libération nationale sont là pour nous éclairer sur les véritables dimensions du drame actuel et sur les zones d'ombres qui subsistent encore dans une certaine conscience des hommes d'Occident. Les Algériens, par leurs sacrifices: plus d'un million et demi de morts, 300.000 orphelins, des centaines de milliers d'invalides, 8.000 villages détruits, des forêts entières brûlées au napalm, n'ont pas seulement triomphé des armes ennemies; ils ont aussi démystifié de prétendues valeurs issues de «l'humanisme» occidental et ont sauvé ainsi, moralement parlant, toute une génération de jeunes français, de jeunes européens que l'idéologie colonialiste chauvine avait abusés en transformant pour eux en mission civilisatrice, l'exploitation d'un peuple par un autre, le vol de ses terres et de ses biens nationaux, l'arriération délibérée de sa société, l'ignorance et la misère...

     Les travailleurs d'Europe et du monde entier, les masses exploitées, les intellectuels conscients du sort des vraies valeurs de la culture et du devenir humain, ont tous soutenu le juste combat du peuple algérien qui a ainsi contribué à détruire les mythes dangereux de la suprématie raciale ou d'intérêts. A l'intérieur même de l'Algérie en guerre, qui subissait alors l'offensive conjuguée des forces colonialistes, évaluées à près de 800.000 hommes et soutenues par le NATO, les milices fascistes de l'OAS, et de gros capitaux européens, les Algériens, malgré les tortures, les camps de concentration, et les massacres dont ils étaient victimes n'ont pas cessé pendant 7 ans et demi de mener parallèlement la lutte armée et le travail politique pour s'opposer à la tyrannie totalitaire et convaincre sans haine les travailleurs de la minorité française longtemps abusée, de la nécessaire solidarité avec notre cause anti-impérialiste. Beaucoup de Juifs algériens qui ont toujours fait partie de cette minorité française prépondérante et profité comme elle de l'exploitation colonialiste, ont compris, grâce à nous, que leur devoir était de nous aider et de se séparer de la cause injuste de l'impérialisme dont ils étaient devenus les auxiliaires. Et ces mêmes Juifs Algériens, sauvés par notre lutte légitime et ramenés à une meilleure conscience des réalités révolutionnaires émancipatrices, ont été les premiers à dénoncer l'aide que l'Etat sioniste apportait aux pays colonialistes occidentaux en votant à l'ONU contre l'indépendance de l'Algérie. De même, ils furent parmi ceux qui ont jugé sévèrement la présence en Algérie d'officiers israéliens envoyés par leur pays pour s'initier à la lutte anti-guérilla et à la guerre injuste de répression aux côtés des militaires français colonialistes.

11 - En résumé, tous les faits qui précèdent et les événements actuels prouvent la détermination des Arabes, en dehors de toute passion et en dépit de l'amertume d'une défaite, de poursuivre: 1º) la lutte anti-impérialiste sur tous les fronts, 2º) la démystification du bluff sioniste que beaucoup de gens confondent avec le problème juif alors qu'il n'est que le prolongement tactique et chauvin de l'hégémonie expansionniste de l'impérialisme occidental.

     Tout comme la guerre de libération algérienne et la révolution anticolonialiste de notre pays, les Arabes sont en train de faire prendre conscience aux hommes sincères et aux démocrates du monde entier de la nécessaire distinction entre un problème moral exploité à dessein par les propres responsables des massacres anti-juifs, et un problème politique incarné par Israël en tant qu'auxiliaire conscient de l'impérialisme militaire et raciste dont les méfaits au Vietnam et au Proche Orient ne font plus de doute pour personne. Par leurs luttes et même par les revers qu'ils subissent mais qui ne comptent pas pour eux dans la perspective d'une longue récupération de leurs terres usurpées et de leurs droits méconnus, les Arabes ont l'avantage de faire échec à ce grossier amalgame. Ils le font d'autant mieux qu'ils sont innocents de l'extermination des Juifs et qu'ils sont au contraire les seuls dans l'Histoire de l'humanité à avoir accueilli dans leurs pays les membres de la Diaspora persécutés par le reste du monde. Ils le font aussi parce qu'eux-mêmes ont souffert, en tant qu'anciens colonisés, de l'oppression et de l'exploitation capitalistes occidentales. Mais, avertis par une expérience douloureusement vécue au cours de l'histoire et engagés dans un vaste mouvement de démystification et de progrès, ils ne craignent pas, eux, de nommer les choses par leur nom et de dire par exemple que lorsque des Juifs usurpent la terre d'un autre peuple ils deviennent des colonialistes; qu'en se faisant les alliés du racisme occidental anti-arabe, ils sont eux-mêmes des racistes; et que, lorsqu'ils s'affirment les complices dévoués de l'hégémonie occidentale agressive et réactionnaire, ils sont, ni plus ni moins, des agresseurs totalitaires.

12 - La différence qui existe entre les Arabes et les Sionistes réside dans le fait que ces derniers, qui n'ont jamais souffert de l'impérialisme, parlent abusivement au nom des Juifs victimes des persécutions européennes, mais se font les instruments zélés de cette même agression occidentale quand elle est dirigée contre les peuples arabes.

     Ce qui se passe actuellement dans tout l'Occident est significatif de cet amalgame machiavélique et du non-sens par lesquels l'impérialisme essaie et réussit à inhiber et à faire agir contre leurs propres intérêts de classe, les masses travailleuses qu'il exploite et méprise. On a vu au cours d'une manifestation à Paris les travailleurs défiler aux côtés du banquier-baron de Rothschild et du gros industriel réactionnaire Bloch-Dassault. On a vu se porter au secours d'Israël les fascistes de l'OAS, Tixier-Vignancourt, chef de l'extrême-droite française et ancien collaborateur des nazis, les anciens gouverneurs de l'Algérie Jacques Soustelle et Robert Lacoste, massacreurs et tortionnaires des Algériens; des aventuriers de la Légion étrangère coupables des pires atrocités au Vietnam, des mercenaires européens dont les mains sont encore rouges du sang des Congolais et des Yéménites, des antisémites opportunément alliés au sionisme qui représente pour eux en ce moment l'une des plus hautes expressions de l'entreprise coloniale de l'Occident dirigée contre les pays en voie d'émancipation et de développement non capitaliste. L'insertion de plus en plus agressive d'Israël dans le monde arabe et son expansionnisme militariste font déjà rêver tous ces alliés et soutiens réactionnaires à un retour providentiel des beaux jours de l'ancienne domination coloniale dont les peuples exploités d'Afrique, d'Asie et d'Amérique latine se sont précisément libérés par des sacrifices surhumains.

     Ces mêmes peuples, et les Arabes tout les premiers, savent qu'au lendemain de l'agression israélienne et les conséquences qu'elle a engendrées ou qu'elle veut consacrer avec l'appui de tout l'Occident capitaliste (aggravation du sort des réfugiés palestiniens, conquêtes territoriales, violences infligées aux populations civiles, expropriations de terres, refoulement massif des habitants, mépris des obligations et recommandations internationales, menaces contre les régimes progressistes de la région, etc...), le conflit entre l'impérialisme et le Tiers-Monde dans son ensemble aborde une phase aiguë et peut-être décisive. C'est une sorte d' «escalade» plus brutale, et à une échelle plus grande, de l'offensive généralisée qui se déchaîne depuis des années sur le peuple courageux et martyr du Vietnam. Mais ceux qui ont consenti, à l'exemple du Vietnam d'aujourd'hui et de l'Algérie hier, les plus grands sacrifices pour se libérer et survivre, sauront défendre les acquis précieux de leurs révolutions et reprendre une lutte aussi nécessaire que vitale pour leur avenir et l'avenir du socialisme et de la liberté en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

13 - Si l'Algérie a adopté une attitude intraitable dans le récent conflit c'est parce qu'elle sait par expérience que le processus d'une guerre révolutionnaire anti-impérialiste quand il est déclenché ne doit s'arrêter qu'après avoir épuisé ses moyens. Et ces moyens sont d'autant plus inépuisables que c'est le mouvement de libération lui-même qui les tire du fin fond de la volonté populaire si riche en possibilités dans la défense d'une juste cause. Si la position de notre pays est sans équivoque et refuse le compromis et les manoeuvres dilatoires qui ne profitent qu'aux agresseurs, c'est parce que les Algériens ont connu les dures épreuves d'une guerre d'oppression et peuvent en imaginer mieux que d'autres les conséquences, surtout quand les malheurs subis n'apportent aucune contrepartie sur le plan du droit. La thèse algérienne se trouve confirmée par les suites de l'agression impérialo-sioniste qui constituent un véritable fait accompli et illustrent bien la politique expansionniste d'Israël.

     D'autre part, si certaines puissances occidentales et leurs auxiliaires israéliens se réjouissent du succès militaire de l'agression et comptent sur la démoralisation des peuples arabes pour parvenir à leurs fins, c'est parce qu'une optique essentiellement colonialiste leur fait accorder un crédit illimité à la solution obtenue par les armes et à la pratique de la violence et de l'usurpation. Quand ils se seront aperçus que cette «solution» militaire n'enlève rien à la détermination des masses arabes à poursuivre le mouvement révolutionnaire de libération et de progrès social dont ils sont profondément animés, ils profiteront des nouvelles annexions territoriales et d'un renforcement du potentiel de guerre et des méthodes de terreur pour se livrer à d'autres provocations. Mais tout cela n'empêchera pas la volonté libératrice des masses populaires arabes, comme celle des autres peuples opprimés en Afrique, en Asie et en Amérique latine, de triompher de l'impérialisme.
 



1 - l'auteur du présent article ainsi que de la réponse à la question sur «l'Unité arabe» nous précise que ces textes ont été écrits et édités à Buenos Aires en Argentine dans leur version espagnole pour éclairer l'opinion latino-américaine sur le sens international du combat palestinien. Ils se situent donc dans une perspective plus didactique et militante.
    Dans une lettre jointe à ces textes, M. Lacheraf nous précisait que s'il avait eu plus de temps, il aurait insisté davantage sur «ce double phénomène qui, à l'occasion de la guerre israélienne et de la résistance nationale des Palestiniens éclaire, d'une façon aveuglante, tous les ressorts, toutes les carences de la société arabe aux prises avec ses responsables et ses ennemis ainsi que toutes les réactions du monde capitaliste occidental dont les idéologies anciennes et nouvelles se trouvent réemployées ou réactivées ou habilement modifiées à l'égard des deux parties en conflit. C'est à partir de là également, qu'une analyse impitoyable de la culture et de la mythologie culturelle «humaniste» moderne peut être tentée, en liaison avec le reflux idéologique de certains pays d'avant-garde du Tiers-Monde (sans oublier les mouvements intellectuels et ouvriers d'Europe occidentale) et avec le regain de l'activisme néo-colonial.»
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