pp. 74-77
une étude : « Witchcraft, Sorcery, Magic and Other Psychological Phenomena and Their Implications on Military and Paramilitary Opérations in the Congo » (« fétichisme, sorcellerie, magie et autres phénomènes psychologiques et leurs implications dans les opérations militaires et paramilitaires au Congo »), 1964, qui a été élaborée par les universitaires du Counterinsurgency Analysis Center financé par l'armée, à l'American University. Les conclusions de ce rapport ont directement trait au rôle qu'Israël est arrivé à jouer : « A la lumière de l'expérience belge, ainsi que de celle de Tshombé au Katanga (disait-il) il semble qu'un point de vue plus souple du problème militaire pourrait se trouver dans la conception des troupes d'élite : troupes ayant été entraînées et soigneusement formées à la discipline et bien commandées ». Ce conseil militaire a été accepté : en vue de diminuer le rôle nord-américain, déjà trop visible, trop étendu et politiquement embarrassant, on a fait appel aux Israéliens, qui ont assumé la tâche de former l'escadron de paracommandos, troupe d'élite du Congo.
Le résultat définitif en ce qui concerne ces programmes israéliens n'est pas leurs dimensions, mais leur concentration stratégique dans l'édification de sections d'élite, dans les institutions militaires, de plus en plus importantes. Le fait que ces institutions se trouvent aussi dans des pays où il y a une grande pénétration nord-américaine (par exemole l'Ethiopie et le Congo-K) n'est pas une coïncidence.
Ces programmes permettent aux Israéliens et aux Etats-Unis, à travers les Israéliens, d'exercer des influences intimes sur le développement intérieur de ces pays respectifs « La concession d'aide — militaire ou autre — est aussi une invitation ouverte pour celui qui l'accorde à établir solidement ses intérêts nationaux dans le pays qui la reçoit, ce qui peut aller jusqu'à inclure l'incitation à la révolte et à la rébellion, bien que de manière couverte », admet Silverburg (6).
Etant donné que sa participation est motivée aussi bien par les intérêts internationaux de l'impérialisme yankee que par ses propres intérêts nationaux, Israël se donne beaucoup de mal pour travailler en étroite collaboration avec le pays amphytrion afin d'éviter tout « malentendu ». En même temps, les programmes israéliens sont rattachés à une opération de renseignements de la CIA et de l'Occident bien plus vaste.
Etant donné la nature même de l'aide dans le domaine du renseignement que les agents israéliens apportent aux Tanzaniens, aux Ethiopiens et aux Congolais, Israël est profondément mêlé au monde de l'intrigue et de la manœuvre politique sous le manteau.
Les faits concrets sur le rôle en dessous d'Israël sont beaucoup plus difficiles encore à rassembler que l'information au sujet des programmes militaires. Il y a des preuves de ce qu'Israël a secrètement soutenu un grand nombre de mouvements de libération qui sont également soutenus par les Etats-Unis. On dit que les Israéliens aident en secret les forces discréditées de Roberto Holden en Angola. Au niveau diplomatique, les renseignements obtenus par les Israéliens sont fréquemment partagés avec les ambassades locales des Etats-Unis. Dans un récent entretien, un observateur a déclaré que cette pratique était de plus en plus courante, et il citait l'Ouganda comme un pays où l'ambassade israélienne sert les besoins d'information des autres ambassades occidentales et de leur personnel. Par contre, on sait que les renseignements nord-américains de contre-insurrection et anti-guérillas sont mis à la disposition des militaires israéliens en vue de les aider à détruire les organisations de libération de Palestine (7).
Les programmes militaires et paramilitaires couverts des Israéliens n'ont pas tous été couronnés de succès. Ils se heurtent à des problèmes profondément enracinés et à des contradictions qui détruisent toutes les tentatives occidentales de modeler les Etats africains appauvris selon leurs intérêts. Les stratégies pour moderniser les armées en tant qu'institutions pour l'intégration et le développement nationaux ont échoué lorsque les Africains, officiers de l'armée, ont préféré participer au pouvoir et aux privilèges dont jouissent maintenant, les élites néo-coloniales soutenues par l'Occident. Beaucoup de ces soldats n'ont pas de motivation idéologique pour poursuivre un changement politique et quand ils le peuvent, ils préfèrent assumer le pouvoir par des coups d'Etat, plutôt, que de jouer le rôle plus « fonctionnel » que préfèrent leur octroyer les experts étrangers.
Par ailleurs, l'aide extérieure, qu'elle soit israélienne ou de toute autre provenance, ne peut pas échapper à la contradiction centrale des pays qui sont opprimés par un système impérialiste et ne peuvent pas se développer avec l'aide sélective de ces puissances oppressives. En fait, ces programmes ne font qu'augmenter la dépendance et la subordination. Jaloux de leurs intérêts à long terme, les Israéliens ont limité leur engagement en Afrique à certaines sphères qui essayent d'éviter d'être identifiées politiquement avec les puissances impérialistes.
Cette « invisibilité », cependant, est en train d'être lentement percée et, plus que pour toute autre raison, à cause des visées expansionnistes d'Israël au Moyen-Orient. De même que leur « Oncle » nord-américain, les Israéliens se sont vus obligés d'aller à la guerre contre-révolutionnaire ouvertement aussi bien à l'intérieur qu'à l'étranger. Les leçons de cette identification sont lentement perçues par le peuple africain.
L'Impérialisme finance
les programmes d'Israël
Israël ne révèle pas l'étendue de ses programmes d'aide à l'Afrique ni qui paie la note. On sait que les fonds viennent directement du gouvernement d'Israël, de gouvernements associés en Afrique, d'organisations internationales et, dans une certaine mesure, de sources privées.
En 1966-1967, le département de coopération internationale d'Israël (Mashav) a avoué un budget de10 millions de livres israéliennes (soit 3,33 millions de dollars). Ce chiffre, cependant, est trompeur. D'une part, les prix israéliens sont plus bas que les prix de projets nord-américains du même genre. En fait, l'ex-directeur du département de coopération internationale du Ministère des Affaires Etrangères, selon Laufer, « a dit à un groupe de visiteurs nord-américains qu'Israël reçoit le double de sa valeur pour chaque dollar d'aide extérieure que ce que reçoivent les Etats-Unis ».
Presque la moitié du programme total d'Israël est financé par des sources non-israéliennes. Le gouvernement des Etats-Unis, à travers la technique du tiers pays, a contribué de façon importante à ces programmes. Les chiffres exacts de la contribution des Etats-Unis sont secrets. Le chercheur Silverburg du CRESS, a dit que ce serait perdre son temps que d'essayer de vérifier les chiffres exacts. « Ces arrangements de tiers pays (a-t-il dit, au cours d'un entretien) sont généralement maniés avec beaucoup de discrétion. Même si on arrivait à avoir quelques chiffres à travers la presse, ceux-ci pourraient bien être erronés dans une proportion allant jusqu'à un million de dollars ». Le rapport de Laufer fait mention d'un certain apport de l'USAID en ce qui concerne les programmes de jeunesse d'Israël en République Centrafricaine, au Dahomey et à Costa Rica. Il mentionne aussi que « la France a aidé les programmes de jeunesse en Côte d'Ivoire ; et la Grande-Bretagne et l'Allemagne Occidentale, d'après ce que l'on dit ont apporté une aide aux projets dans d'autres pays d'Afrique ».
Le soutien occidental à Israël lui permet sans aucun doute de maintenir un programme actif de pénétration. Israël tire de l'étranger plus de revenus en contribution monétaire qu'en paiement de ses exportations. Sans ces crédits internationaux -- et des contributions sollicitées à1'extérieur avec la coopération et la complicité des puissances occidentales -- Israël ne pourrait pas survivre économiquement. Ses problèmes de balance des paiements ont toujours posé de véritables difficultés à l'économie. Sans le financement de sources non-israéliennes, ses programmes en Afrique seraient inconcevables. Laufer admet que : « La réussite d'Israël, qui obtient plus de la moitié de son effort financier de sources non-israéliennes, est sans doute quelque chose d'unique dans l'histoire compliquée des opérations d'aide technique de l'après-guerre. Cela montre comment un petit pays dépourvu de capitaux mais ayant la volonté et les capacités objectives de le faire, peut créer un programme d'aide technique considérable avec peu d'investissement de capitaux et un effet insignifiant sur sa position dans la balance des paiements ».
Les revenus concernant ce programme ne proviennent pas tous directement des Etats-Unis ou de puissances irnnérialiste. Quelques-unes des dépenses sont supportées par les nations africaines bénéficiaires de l'aide. Cependant, ces nations, bien souvent, dépendent de l'aide occidentale ; de sorte que les Etats-Unis ou quelque autre allié qui finance un Etat africain permet à celui-ci de payer les frais d'un programme d'aide israélien, lequel reçoit à son tour, de la sorte, un soutien déguisé ou couvert à travers d'autres voies. Les Etats-Unis pourraient aussi libérer leurs ressources monétaires locales dans les Etats africains pour aider à financer les efforts de formation et d'aide israéliens.
Coordination nord-américaine-
israélienne
II y a beaucoup de niveaux auxquels les « experts africains » des Etats-Unis et d'Israël échangent leur opinions et coordonnent leurs programmes. Quelques-uns sont gouvernementaux, mais d'autres échanges, plus importants parfois, se font sur une base privée, non gouvernementale, à travers des réunions, des séminaires et des conférences. Une conférence d'une grande signification a eu lieu du 6 au 8 décembre 1963 à Arden House, ancienne et luxueuse propriété de Harriman, sur le Hudson, tout près de Bear Mountain, à New York, actuellement occupée par l'université de Columbia.
Patronnée par le Comité National du Travail d'Israël, une institution qui recueille des fonds pour l'Histadrout d'Israël avec une base aux Etats-Unis, la réunion a groupé des stratèges de toute première importance, nord-américains et israéliens, pour discuter des points de vue pragmatiques en ce qui concerne l'aide extérieure, le rôle des coopératives et des quelques problèmes au sujet des rapports entre juifs et noirs. Le reste des participants est impressionnant et instructif. Les Etats-Unis étaient représentés par un certain nombre d'experts étroitement liés au gouverne-ment, en particulier à la CIA. Parmi eux se trouvaient Arnold Rivkin ; Benjamin Rivlin, un africaniste qui a été en service à l'OEA et au Département d'Etat ; Edmund Hutchison, qui a été un temps membre exécutif de la RCA et est devenu administrateur des programmes d'AID ; John A. Davis, alors président de l'American Society of African Culture (AMSAC), financée par la CIA : et le doyen des africanistes liés aux entreprises les plus « libérales », F. Taylor Ostrander, l'aide du président de l'American Metal Climax Corporation, la principale entreprise minière américaine en Afrique Centrale et Australe. Ostrander, qui a occupé une série de postes importants dans le gouvernement, est vice-président de la Tools for Freedom Foundation, programme soutenu par la CIA.
Israël était représenté par de hauts fonctionnaires de l'Histadrout et il y avait d'autres personnes présentes parmi lesquelles un fonctionnaire de l'ICFTU, de la Banque Mondiale et un des directeurs de la revue Fortune. Le secrétaire d'Etat adjoint, Harlan Cleveland, a envoyé son salut à cette réunion et des fragments des discussions ont été publiés sous ce titre révélateur :
Le Monde libre et les nouvelles nations.
Cette conception de la réunion et de son contenu, non seulement se mêle parfaitement bien à la stratégie américaine ébauchée publiquement par Arnold Rivkin, mais en outre, comme l'a clairement dit un porte-parole de l'Histadrout, dans plus d'un discours, les Israéliens s'identifient à la mission du « Monde Libre », sous les auspices des Etats-Unis, en Afrique et essayent de l'aider. Il est hors de doute que d'autres conférences du même genre ont eu lieu par la suite.
Le modèle israélien : un précurseur ?
L'expérience israélienne a servi de modèle pour des entreprises similaires de la part d'Etats clients des Etats-Unis et pourrait être le précurseur des nouvelles perspectives qui sont en train de se faire jour pour divulguer les nouvelles formes d'intervention impérialiste en Afrique, en Asie et en Amérique Latine.
Pour arrêter l'influence de la Chine en Afrique, les Etats-Unis utilisent un Etat qui est leur client, Taiwan, dans une opération du style de l'exemple israélien. L'aide et l'entraînement du tiers pays des Etats-Unis permet à Taïwan de maintenir un programme d'aide à l'Afrique qui a déjà investi environ 50 millions de dollars, en 1961. Le régime « nationaliste » chinois a été reconnu par vingt-et-un Etats africains et a promu des programmes d'aide agricole dans dix-neuf d'entre eux. Par contre, la Chine continentale n'a été reconnue que par quatorze pays africains et aide dix d'entre eux. Ce programme a eu une grande influence politique. En 1968, quinze pays seulement ont voté en faveur de l'admission de la Chine Populaire à l'ONU, alors que vingt d'entre eux ont voté contre Pékin.
Le modèle israélien intéresse les planificateurs de la politique américaine avant tout en tant qu'exemple d'une tentative de point de vue mutuel, multinational, vers l'aide. Les stratèges des Etats-Unis veulent prendre du recul par rapport aux plans bilatéraux parce qu'ils tendent à marquer politiquement les Etats-Unis comme interventionnistes.
Les stratèges globaux préféreraient contrôler le Tiers-Monde à travers des instruments régionaux (par exemple l'OTASE en Asie, l'OEA en Amérique Latine et l'OUA en Afrique). En dirigeant des organisations régionales plus vastes ou des programmes d'aide multilatéraux, les Etats-Unis peuvent conserver le contrôle effectif avec moins de risques politiques. Ils déguisent le rôle nord-américain sans en diminuer le pouvoir.
Ce qui se passe actuellement c'est que les Etats-Unis fignolent de tels programmes et développent de nouveaux organismes de coopération et une machinerie plus efficace pour la planification multigouvernementale.
Conclusion
Une critique du rôle d'Israël dans le monde ne peut pas dépendre seulement d'une position dans les inextricables problèmes historiques qui se débattent au Moyen-Orient. Comme le prouve notre examen du rôle et de la fonction d'Israël en Afrique, il y a une série considérable de preuves dignes de foi, bien que générale-ment d'accès difficile, qui signalent le rôle direct d'Israël dans les intérêts de l'Empire du monde libre dirigé par les Etats-Unis.
En 1902, le leader sioniste Théodore Herzl a écrit : « Maintenant que j'ai vécu pour voir la réhabilitation des juifs, je voudrais préparer la voie pour la réhabilitation des noirs... C'est pourquoi je travaille à ouvrir l'Afrique ». Mais la réhabilitation d'un peuple ne doit pas porter en soi la soumission à un autre. Au Moyen-Orient, les Palestiniens contestent le droit d'Israël d'occuper leurs terres et d'imposer son gouvernement au moyen d'une force armée sous le déguisement d'une mission idéaliste. En Afrique, du moins parmi les radicaux et les révolutionnaires, cette « mission » d'Israël est en train d'être mise à jour petit à petit et à y être combattue.
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(6) S. Silverburg, Israeli Military and Paramilitary Assistance to Sub-Saharan Africa : A Harbinger for the Role of the Military in Developing States, thèse de doctorat. American University, 1968.
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(7) Selon Silverburg, les officiers israéliens, y compris Moshé Dayan, ont visité le Viet-nam pour y faire des recherches sur la guerre contre-révolutionnaire
nord-américaine sur le théâtre même des opérations. Bien plus, il « estime » que les formulaires « Ce que nous avons appris » que les soldats nord-américains remplissent après avoir une rencontre avec le F.N.L.. « parviennent aux mains des fonctionnaires militaires israéliens ». Il est intéressant de voir que Silverburg pense que les militaires israéliens sont plus efficaces sous cet aspect que les Nord-Américains au Viet-Nam.
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