souffles
numéro spécial 15, 3e trimestre 1969Documents (IV)
emmanuel lévyne : lettre à une étudiante juive
(la commune de Jérusalem) (1)
(extraits)
...La réalité, c'est qu'il faut partir d'une Palestine arabe, - c'était son destin naturel et elle le redeviendra tôt ou tard. L'Etat d'Israël est condamné à dépérir, comme cela commençait à se faire avant la guerre du 5 juin, qui était précisément une réaction énergique pour arrêter ce dépérissement naturel, - cette guerre avait pour objectif de rappeler en masse capitaux, cerveaux et bras qu'il ne cessait de perdre. Mais cette Palestine arabe devra obligatoirement avoir une vocation internationale et interconfessionnelle pour être acceptée par le monde, elle sera plus ouverte que les autres pays arabes, et par là même elle serait le lieu le plus favorable pour des expériences de mondialisation, des tentatives d'internationalisation. Il est évident que la Palestine arabe ne pourra pas être aussi arabe que l'Égypte ou l'Algérie; elle aura tout intérêt à demeurer ouverte et hospitalière, principalement aux Juifs et aux Chrétiens, qui devront s'y sentir «comme chez eux». Mais les Arabes se fermeront et refuseront toute ouverture internationaliste si nous, Juifs, nous voulons leur imposer notre présence, notre occupation, notre volonté nationaliste par la force brutale. Les sionistes savent bien au fond d'eux-mêmes qu'ils ne sont pas faits pour demeurer en Palestine, ils sont trop occidentalisés, américanisés et ils la quitteront naturellement, sans même que les Arabes les «rejettent à la mer», comme cela se fait déjà actuellement (dans «Le Monde» d'aujourd'hui, j'ai lu que des centaines de médecins israéliens avaient émigré aux Etats-Unis); c'est pourquoi ils se conduisent envers les Arabes d'une manière si totalitaire, si militaire et si peu politique: ils ne cherchent pas à assurer leur avenir dans cette partie du monde autrement que par la force des armes qui ne leur sera pas toujours si favorable; ce sont des colonialistes attardés du siècle dernier dont le destin ne peut être que celui des Français d'Algérie. Si des Juifs, surtout des jeunes, pensent qu'ils ont un rôle à jouer avec les Arabes, qu'ils ont une place à s'assurer dans leur pays, en Palestine, en particulier, alors, ils doivent se préparer à prendre la relève des sionistes et des Israéliens, en adoptant des méthodes tout autres et en s'engageant dans des voies diamétralement opposées, ce qui les conduira inévitablement à s'opposer violemment à l'Etat d'Israël tant qu'il existera et à prendre parti contre lui, donc pratiquement à se sentir solidaires des Arabes en lutte contre l'impérialisme et le sionisme.
1 - Publiée dans «Judaïsme contre Sionisme», Ed. Cujas.
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