souffles
numéros 13 et 14, 1er et 2e trimestre 1969bibliographie critique maghrébine
pp. 32-39
[quatre comptes rendus - signés: tahar benjelloun - abdelkabir khatibi - abdellatif laâbi - e. m. nissaboury - suivis par "nouvelles parutions maghrébines 1968/1969"]
[benjelloun; pp. 32-34]abdelkabir khatibi
le roman maghrébin: Maspero collection
«domaine maghrébin». Paris, 1968Une mise au point à propos de cet essai nous permettra de déterminer d'une façon schématique l'objectif que s'est assigné A. Khatibi.
- Tout d'abord «le roman maghrébin» est un essai démonstratif non exhaustif,(1) qui s'est limité au développement de quelques thèmes et ne prétend nullement avoir esquissé toute la problématique de la littérature ou des écrivains du Maghreb.(2)
- Le deuxième point est que cet essai est conçu pour un grand public.(3) Ceci bien sûr sans faire de concessions sur le fond ni minimiser l'importance et l'urgence des idées à défendre.Nous avons choisi pour rendre compte de cet essai, de nous attarder sur un des thèmes que développe Khatibi et que nous considérons des plus importants puisqu'il englobe et sous-tend tous les autres. Il s'agit du problème de l'acculturation.
«Se demander ce qu'est le roman pour nous, Maghrébins, maintenant en 1968, c'est-à-dire en période de décolonisation», revient à tracer un schéma opératoire qui définit la méthode et démystifie le système. Si cette question est posée par l'auteur à plusieurs niveaux, c'est à celui de l'acculturation qu'elle aurait dû renvoyer à une analyse plus spécifique.
Certes, Khatibi a analysé l'acculturation dans le roman maghrébin sous plusieurs rubriques: perception sexualisée de l'Occident et échec de l'ironie, déracinement, révolte systématique contre l'aliénation familiale et coloniale.(4) L'analyse manque cependant d'élaboration théorique.
Le concept d'acculturation définit à lui seul l'ensemble des structures malades et défaillantes - du statut de l'écrivain maghrébin. Cette situation est définie par la perception de l'Autre (comme possible pour l'identité recherchée). Comme l'écrit A. Laroui dans «l'idéologie arabe contemporaine»: «penser, c'est d'abord penser l'autre... l'Autre des Arabes c'est l'Occident».(5)Khatibi nous présente trois façons de penser l'Autre:
Il s'agit pour nous de savoir si cette option méthodologique épuise toute la problématique de l'acculturation.
- une vision sexualisée (chez le Tunisien 'Ali ad-Dù'dji)
- une vision d'homme dominé (le cas Memmi)(6)
- une vision psychanalytique de l'Autre à travers le père sacralisé (le cas Chraïbi).(7)
L'appareil conceptuel dont use Khatibi est souvent d'inspiration psychanalytique. On se demande alors pourquoi l'analyse ne va pas jusqu'au bout, voulant rallier le niveau sociologique avec le modèle de l'interprétation psychanalytique.
Le cas d'Ad-du'aji est assez caractéristique en ce sens. Certes, sa sexualisation de l'espace est évidente, mais elle n'est pas qu'un mode sur lequel l'autre est perçu, elle est aussi une projection matérialisée de soi, où le narcissisme trouve son plein épanouissement. L'écrivain est lié alors à sa propre image même quand il s'agit d'une distanciation par l'ironie. Sa désaliénation passe d'abord non pas par L'autre - même si l'Autre est femme - mais par son propre moi pris en tant que médiation.
Nous retrouvons dans l'analyse du cas d'Albert Memmi des concepts s'inscrivant dans une vision ethno-psychanalytique: il s'agit de «déracinement», de «déchirement».(8)L'Autre est avant tout celui qui a confisqué l'identité, celui qui est cause de la «perte de l'unité fondamentale». La haine produit un écrivain dominé et révolté; le roman devient autobiographie. Nous retrouvons le processus narcissique non résolu, puisque, contrairement à ce que pense Khatibi, il n'y a pas de «déchiffrement de l'aliénation et remise en question de l'univers colonial» (page 73). L'analyse de soi devient spectacle, projection totale de soi dans l'écriture, dédoublement de la personne et sublimation des conflits. Une sociologie de l'oppression, et par conséquent une dénonciation de l'acculturation, ne peut passer d'abord par soi (nous aurions là à la rigueur un autre niveau d'analyse qui pourrait avoir son efficacité).L'acculturation est un phénomène vécu certes, mais qui exige d'être considéré dans toutes ses dimensions.
Le troisième cas est celui de Chraïbi et qui offre, comme le souligne Khatibi, un modèle de psychanalyse. C'est ici que nous aurions aimé trouver une analyse un peu plus poussée qui aurait permis de dépasser la variante pour aboutir au système, aboutir à une remise en cause du système patriarcal et traditionnel. Khatibi en parle (pages 78 à 80), mais le modèle psychanalytique n'est qu'esquissé. Procéder à une lecture herméneutique de l'oeuvre de Chraïbi, en analysant par exemple la relation triangulaire père/ mère/fils d'abord ait niveau des conflits vécus, ensuite au stade de la manipulation des signes, est une démarche qui s'imposait pour définir toutes les dimensions de la révolte de Chraïbi.
Le père «sacralisé» «divinisé», omniprésent et omnipotent, est l'image même du patriarche et du charismatique, sujet d'une haine que Khatibi qualifie de «sadique (page 79). «Je suis également sadique...» écrit Chraïbi, mais il s'agit d'un sadisme conscient et assumé qui reste actuellement encore incompréhensible pour le père. On ne peut parler d'une identification au père. A son père, Chraïbi ne voue que haine et hostilité. Le meurtre du père ne résulte pas de la double polarité admiration/hostilité. La dissolution de l'Oedipe reste en suspens. A sa mère qui n'est pas une femme tant le père lui «faisait la vie dure»,(9) il a substitué une vraie femme. Comme le note à juste titre Khatibi: «la libération se fait sur le plan de l'Eros. La virilité démesurée est un moyen de combat contre le Père et le bordel la première éducation d'un homme libre».(10)
Le phénomène de l'acculturation est ainsi vécu et exprimé à travers trois cas maghrébins sous le signe de l'édification d'une culture nationale authentique, c'est-à-dire décolonisée. La difficulté d'être de l'écrivain maghrébin débouche, à cause justement du phénomène de l'acculturation, sur des problèmes plus graves encore puisqu'il s'agit de la communication. A. Laroui constate la très nette coupure entre L'intellectuel et l'ensemble des couches sociales: «l'intellectuel, n'étant pas en contact avec la totalité de la société, voit la dialectique sociale de l'extérieur, c'est-à-dire abstraitement et peut alors recourir indifféremment à l'arabe classique ou à une langue étrangère puisque de toute façon, il s'adresse uniquement à lui-même ou à ses frères intellectuels».(11)
Que la voix de l'écrivain ne touche qu'une élite ou se trouve renvoyée à elle-même comme dans un écho, nous ne pouvons dans le cas précis du Maghreb croire à l'illusion de la communication avec toutes les couches sociales. L'écrivain avant tout s'exprime; c'est peut-être plus un besoin narcissique qu'une générosité. Cependant nous n'irons pas jusqu'à soutenir avec Laroui qu'une «grande partie de la littérature française-nord-africaine est transitoire, circonstancielle, peu expressive parce qu'elle se conçoit comme un rameau régionaliste d'une culture centrée ailleurs et qui seule l'approuve ou la désapprouve».(12)Khatibi n'a pas hésité à dénoncer (son essai démonstratif est avant tout prise de position et dénonciation) ce genre de littérature qui a accompagné le colonialisme, et à faire éclater les rapports unilatéraux unissant la métropole à ses anciennes colonies.
tahar benjelloun
Notes (benjelloun)
1 - Il s'agit de la littérature Maghrébine contemporaine d'après guerre allant de 1945 à 1962, ce qui correspond à la lutte contre le système colonial.
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2 - «Le Roman Maghrébin» est en train d'être traduit par M. Barrada en collaboration avec l'auteur. A vrai dire c'est plus qu'une traduction, puisque certains thèmes seront approfondis et certains écrivains étudiés, notamment les écrivains d'expression arabe comme par exemple 'Abdeljalil Ben Jalloun.
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3 - Khatibi publiera bientôt une étude de la sociologie de la littérature où l'élaboration théorique ne sera pas reléguée au second plan.
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4 - cf. p. 67 à 82.
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5 - cf. l'idéologie arabe contemporaine, p. 15, Ed. Maspéro.
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6 - A. Memmi vient de publier un essai intitulé: «l'homme dominé».
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7 - cf. dossier Chraïbi. Souffles nº 5.
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8 - Tout déchirement n'est qu'un moment, une crise faite pour être dépassée. Nous ne pouvons être intégrés au savoir totalisant (prétendre à l'universalité) qu'en accomplissant une série de dépassements. L'aliénation de l'écrivain est surmontée par l'écriture, mais pas n'importe quelle écriture, surtout quand il s'agit d'homme colonisé (ou en période de décolonisation). La forme n'est plus simple moyen, mais acquiert toutes les dimensions des exigences révolutionnaires. Le signifiant jouit d'une autonomie qui lui permet d'alterner les niveaux: il est à la fois objet véhiculaire et expression signifiée. Seul Kateb Yacine possède d'une façon remarquable cette technique, technique que Khatibi qualifie de «terroriste» car elle brise la structure propre au roman et crée un langage éblouissant «fusant de toutes parts et se surpassant indéfiniment».
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9 - cf. Questionnaire à Chraïbi. Souffles nº 5, page 5, (une réédition du «Passé simple» est en cours).
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10 - le roman maghrébin page 80.
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11 - cf. «l'idéologie arabe contemporaine» p. 182, Ed. Maspéro.
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12 - cf. «l'idéologie arabe contemporaine» p. 176, Ed. Maspéro.
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[khatibi; p. 35]abdellatif laâbi: race collection atlantes rabat 1967
e.m. nissaboury: plus haute Mémoire Collection atlantes rabat 1968Il faut saluer la naissance d'une jeune poésie maghrébine, qui tourne le dos aux incertitudes des aînés en assumant plus radicalement leur écriture et en tentant de chercher des voies nouvelles et un langage débarrassé de l'académisme. A. Laâbi et E.M. Nissaboury, malgré la différence évidente de leur tempérament littéraire, ont en commun une certaine approche des thèmes et des situations. Cette poésie qu'ils défendent est conçue comme une hygiène mentale, une réappropriation de l'identité, de l'histoire et comme ils le disent eux-mêmes de la mémoire et du corps.
Disons tout de suite que cette tentative est d'abord un effort de rupture. Ces poètes nous disent avec violence que cette réappropriation est rupture avec l'architecture classique de la poésie et qu'il faut sensibiliser le corps à tous ses appels même les plus contradictoires. Comment est pratiquée cette rupture? Là, la démarche de Nissaboury se sépare de celle de Laâbi; si celui-ci joue sur un double langage (le lyrique et le langage du quotidien), l'autre évite le choc brutal des images, il procède en un chemin labyrinthique, entrecroisant les images-clefs sans les confondre. L'utilisation alternée du double langage renvoie à la tentative d'enraciner le lyrisme dans le vécu, de le confronter au présent, et par là même dénoncer l'aliénation subie de nos sociétés. Cette distanciation vis-à-vis du réel est équilibrée par le langage lyrique. Il y a là un redoublement dans la recherche de soi, un enchevêtrement des deux langages qui commande le rythme de cette poésie qui se veut d'abord orale, d'abord communication vivante. Il y a là aussi dans l'espace de l'imaginaire un vocabulaire répétitif qui puise son stock dans un univers plutôt minéral, enfoui dans les stratifications de la mémoire. Le corps est une irruption du temps déchiré, la violence d'un érotisme proclamé, crié, réclamé.
C'est pourquoi il faut parler d'un effort de réappropriation du corps et de la mémoire. Disons tout de suite que certains thèmes ou notions peuvent prêter à confusion, le mot race par exemple chez Ladbi. Ce mot, si je comprends, est revendiqué en tant que tel, il signifie schématiquement la race des damnés, la race des peuples opprimés. Généralisé de cette manière, ce mot ne veut plus rien dire. Mais ce problème est mineur. Ce qui me paraît à signaler, c'est l'effort global de ces poètes qui insistent sur le fait que notre identité doit se fonder maintenant sur la différence proclamée, la différence de rupture avec l'Autre. L'identité, c'est d'abord la différence, la rupture avec notre passé, avec la culture coloniale et néo-coloniale, avec le cauchemar de notre présent. C'est l'image utopique d'un homme désaliéné, intégré à soi, un homme nouveau dont l'action poétique a la charge de le rendre transparent à notre regard. Cet effort de totalisation est au centre même de la recherche de l'identité. La poésie participe à sa manière à cet immense travail de réappropriation, en faisant éclater la culture occidentale intériorisée. Sans demander à la littérature de transformer le monde, nous pouvons exiger d'elle la critique permanente de l'imagination répressive. C'est cet appel que nous lance la nouvelle génération des poètes maghrébins.
abdelkabir khatibi
[laâbi; pp. 36-37]mohammed khaïr-eddine: agadir
corps négatifDepuis son départ en France, Mohammed Khaïr-Eddine a publié trois ouvrages: «Agadir» (1967), «Corps négatif», suivi de «Histoire d'un Bon Dieu» (1968) et tout récemment un recueil de poèmes «Soleil arachnide» (1969), tous aux Editions du Seuil.
La présente chronique sera consacrée aux deux premiers livres.
Précisons tout de suite qu'il serait vain d'essayer de faire rentrer ces ouvrages dans un genre littéraire ou autre selon un système de classification devenu depuis longtemps caduc.
Le roman moderne est arrivé à admettre de nombreuses distorsions, à véhiculer et à faire cohabiter des formes d'écritures diverses: éléments dramatiques, expression poétique, langage apparenté au cinéma, au reportage journalistique, à l'essai philosophique, politique ou culturel, à la chronique historique, etc... Toutes ces nouvelles irruptions ont balayé sur leur passage, avec plus ou moins de radicalité, les constantes humaines, chronologiques et topographiques du genre dit romanesque.
Dans Agadir, comme dans Corps Négatif, nous retrouvons en effet cette décision de dépassement d'une esthétique logicienne en vue d'une expression plus intériorisée évoluant au rythme d'une investigation aux multiples axes de divergences, aux multiples centres d'aimantation.
Dès lors, l'écriture secrète une nouvelle logique d'approche et de perception, de consommation et de restitution du réel qui fait appel pour sa communication à une aventure, à un risque aussi mouvementés, aussi complexes que la démarche de création elle-même. La lecture n'est plus cette attitude spectatrice, relevée de temps en temps de frissons esthétiques ou émotionnels, mais une véritable participation incluant la haine, l'amour, le dégoût, la mutation, la transformation, sans que la lucidité n'en soit pourtant exclue.
Parvenus à ce niveau d'emprise sur l'oeuvre et dans l'oeuvre, nous pouvons évidemment partager ou non le contenu frayé, apprécier ou non la tonalité du cri, approuver ou contester; nous pouvons aussi contrôler les soubassements psychologiques, idéologiques et culturels de l'oeuvre, et les confronter à nos propres exigences.
Ayant fait ce parcours, et ne voulant tenir compte que de cette expérience de l'oeuvre et d'elle seule,(1) je me retrouve à la fois déplacé (changé dans une certaine mesure), remué, mais aussi irrité et sceptique.Concernant l'oeuvre de Khaïr-Eddine, on ne peut certainement pas ne pas être bouleversé par la violence sismique de ce cri, de cette saignée désemparée, de cette contestatîon éclatant dans toutes les directions, de ce plastiquage du néant comme il l'aurait dit lui-même. Et dans ce mouvement de fureur et de révolte, les ruades cognent partout, se transforment à la limite en système d'écriture en dehors duquel plus rien ne compte. Il y a ainsi des passages (surtout dans Agadir) suffocants par leur force et leur résonance.
Mais ces moments de haute tension où la communication prend tout entier restent malgré tout des îlots, des moments de fulgurance, reliés par une autre matière plus fragile, relevant d'un automatisme facile garanti par une assurance de mauvais aloi. Sans oublier des résidus d'un ensemble de souvenirs littéraires folkloristes manifestes dans Corps négatif, ni des épanchements qui ne nous sont pas destinés et qui continuent cette démarche de l'écrivain colonisé stigmatisée chez les représentants de la précédente génération littéraire maghrébine. D'autre part, l'aspect de contestation de ces deux livres et sur lequel insistent particulièrement les présentations d'éditeur beaucoup plus soucieux comme on sait de sensation lucrative que d'honnêteté intellectuelle, devrait à mon avis être ramené à sa réelle mesure. La contestation d'un système ne saurait être effective et décisive si elle se contente de l'anathème furieux, d'une menace d'extermination dans le langage des rixes de quartiers. Elle réside dans une mise à nu, dans un démontage de tous les mécanismes du Système. Pour cela, toutes les ressources d'une écriture, quelque géniale qu'elle soit, ne peuvent suffire. Sans une emprise effective sur les réalités globales de l'histoire, de la société et du système concernés, sans une pratique directe, cette contestation risque de s'emmurer dans une dénonciation à courte vue, dans une agressivité pathologique qui n'a rien à voir avec une contestation d'ordre révolutionnaire.
En tout cas, et pour revenir à des problèmes plus généraux, une oeuvre ne se nourrit pas éternellement de souvenirs. Il est à craindre que celle de Khaïr-Eddine ne connaisse à la longue les affres du déphasage et cesse donc de nous concerner, quant à la construction de notre littérature nationale.
abdellatif laâbi
Notes (laâbi)
1 - J'ai tenu à l'objectivité, malgré tout tellement difficile quand il s'agit de dénoncer la manipulation dont sont souvent encore victimes les écrivains maghrébins et du Tiers-Monde d'une manière générale qui produisent à l'étranger et qui en arrivent progressivement à s'assimiler et répondre aux besoins d'une certaine intelligentsia européenne qui consomme encore avec autant de gourmandise malsaine l'énergie des créateurs «d'outre-mer». Et Khaïr-Eddine est loin d'avoir échappé à cette assimilation.
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[nissaboury; pp. 38-39]
malek alloula: villes (1)Lorsque Malek Alloula se propose dans ce parcours de dresser un bilan assumé de l'intérieur de toutes ces villes qui «pourrissent au soleil», il y a là une démarche qui est loin d'être gratuite et qui ne trouve sa raison d'être à la lumière des exigences nouvelles qui s'imposent à toute forme de création. Démarche du clinicien qui devient ce héros épique aux prises avec les puissances souterraines, du chirurgien dont le bruit des instruments se fait entendre au-delà des cimetières de mémoire. Et quels sont ces instruments? quel est cet outillage? Le poète, dans la mesure où celui-ci est débarrassé de toutes ces nimbes totémiques qui en font une figure de légende, est lui-même cet outillage. Outillage qui relève de l'oeil
un regard toujours plus souterrain qui sonde l'exil métalliquedu diaphragme, «à partir d'une respiration qui brûle», d'une perception du monde résultant d'un démantèlement, à la base, de tous les réseaux de fascination qui nous téléguident nous autres ex-colonisés, néo-colonisés, hier damnés de la terre, demain en état de décomposition hautement avancé, ou confortablement installés dans notre contemplation béatifique d'une danse oùle nombril d'un orient débrailléDémarche de désaliénation avant tout. Et là, les trop fameux griefs que l'on continue à placer en tête de chapitre quand il s'agit d'introduction à la littérature maghrébine, sont déphasés, accusent un tel misérabilisme de pensée, une telle méconnaissance des vrais problèmes qui se posent non seulement à cette littérature réduite par la force des mythes à une plage de déchets existentialistes, mais bien à toute la littérature - qu'on se demanderait si la génération passée, qui a fait ses livres et son temps, ne témoignait pas en définitive de la récupération de quelques vieux adages qui sentent maintenant la poussière du romantisme sur les carabines de musée. Malek Alloula «se fout» de la littérature. C'est d'abord l'homme qui se constate, et à travers lui
roule les miasmes d'une mémoire en chaleur.de grands déplacements de races qu'il fallait nommer et cette magie transmise au seuil de la tombe à des enfants si tristesVilles est un itinéraire retracé par gestes d'apocalypse, au moyen de cette parole-acte débarrassée de tout mystère évangélique. Il n'y a l'a aucune trace de chaos. Nous pourrions même parler d'une rigueur, généralement admise simplement au niveau de l'écriture, mais qui, ici, semble être une des conditions essentielles qui gèrent cette palpitante «circulation souterraine».
...
ma mémoire une stalactite
où s'embrochent tant de nuits blafardes.
e.m. nissaboury
Notes (nissaboury)
nouvelles parutions maghrébines 1968/1969
1 - Collection «Atlantes», 1969, Rabat.
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- Mourad Bourboune «Le Muezzin». Roman. Bourgois Editeur. Paris 1968
- Mouloud Feraoun «Lettres». Editions du Seuil. Paris 1969
- Mohammed Khair-Eddine «Soleil Arachnide». Poèmes. Editions du Seuil. Paris 1969
- Mohammed Aziz Lahbabi «Ibn Khaldûn». Essai. Editions Seghers. Collection «Philosophes de tous les temps». Paris 1968
- Abdallah Mazouni «Culture et enseignement en Algérie et au Maghreb». Essai. Editions Maspéro. Domaine Maghrébin. Paris 1969
- Zaghloul Morsy «D'un soleil réticent». Poèmes. Editions Grasset. Paris 1969
- Jean Sénac «La jeune poésie algérienne». Anthologie. Plaquette éditée par le centre culturel français d'Alger.