souffles
numéro 12, quatrième trimestre 1968a.l. : cinéma
pp. 46-47
réalisation . . . . . . magid rechichesix et douze
prise de vues . . . . . magid rechiche et mohammed tazi
montage . . . . . . . . ahmed bouanani
production . . . . . . . c.c.m.
durée . . . . . . . . . 20 minutes
date de tournage . . . . février 1968
filmé en noir et blanc standard
thème . . . . . . . . . l'aliénation de l'homme dans une grande ville.
Exemple : casablanca.
L'équipe qui a réalisé ce court-métrage le présente ainsi :
« Nous avons choisi des images à travers une ville -- des instants -- temps cloîtré ouvert carapaçonné fenêtres dans le vide des yeux fermés entrebâillés agrippés -- absence et solitude des pavés mouillés d'une fête morose qui s'est terminée, peut-être le noir l'a absorbée l'a enfermée, dans des cadenas par delà des clés rouillées immensément grandes et des portes qui ne tiennent plus -- soudain l'ombre -- soudain le geste le bruit de pas -- la mer ou le silence -- le silence ou le cri -- l'attente ou l'angoisse -- le sommeil ou l'insomnie -- le signe de la lumière jaillit -- le coeur entre deux chiffres nos visages pris dans la tourmente les deux chiffres gravés au blanc sur des fronts des regards des corps qui vont tourner dans la tourmente réglés comme des aimants. »
Donc une ville ghetto. Clownesque. Des automates et des gratte-ciel. La foule. Fleuve d'anonymats. L'ordre réglé en parcours bandes jaunes, panneaux frénétiques. Une organisation cellulaire. Métiers, enseignes, gadgets. Le pays des contrastes. Oui, certes, pour ce que l'on permet de Filmer. Surtout pas de bidonvilles. Pas de crasse. Pas de cireurs. De la décence. Le tourisme en pâtirait. Mais partout où la caméra se faufile, un signe. Un appel. Pas de démonstration. Tout va bien. On mange, on joue, on circule. Le climat est le même. Pesant.
Il ne s'agit pas de cité futuriste. De science-fiction. L'homme est celui de 1968. Il accepte, roule, marche, consomme selon un code tacite, admis sans interjection. Un occident de pacotille. Tentaculaire. Admis, continué, glorifié. Aliénation sourde. Avidement avalé. De l'autre côté, ruelles à la limite du sordide. Enserrent. Pied-à-terre pour l'exil quotidien vers les métiers de servilité.
Telle est l'atmosphère mentale, physique de 6 et 12.
Une vision poétisée et surréelle qui éclate en images agressives et électrocutées. Une dénonciation atone.
Voilà un des rares films où une équipe de jeunes cinéastes marocains (le scénario et la réalisation étant de m. rechiche) a essayé de sortir des chemins battus du film de propagande ou touristique et de réaliser une véritable oeuvre de création, dans laquelle la recherche d'un langage cinématographique est une des préoccupations essentielles. (1)
Mais, victime des contradictions de la production et de la distribution cinématographiques au Maroc, 6 et 12 n'a encore quitté le C.C.M. qu'un nombre restreint de fois, pour être visionné à la demande de certaines associations culturelles ou clubs cinématographiques. Ceci au moment où dans les circuits commerciaux, une multitude de courts métrages étrangers ineptes sont programmés dans toutes les salles du pays. 6 et 12 n'est évidemment pas le seul dans ce cas. La majorité des films produits par le C.C.M. (en dehors d'une dizaine) subissent le même sort depuis des années.
Il n'est pas dans nos intentions, dans le cadre d'une chronique comme celle-ci, d'analyser les causes de cette situation paradoxale.(2)
Nous espérons, à la faveur d'un prochain dossier sur le Cinéma Maghrébin, contribuer à la clarification et à la critique de cette situation et à l'élaboration d'une démarche pouvant ouvrir des perspectives nouvelles à la création et à l'action cinématographiques.
Mais nous ne manquerons pas, au cours du développement de cette nouvelle rubrique, de soulever pour chaque cas précis, pour chaque situation précise les questions appelées à provoquer le débat et la mobilisation autour de ce secteur vital de création culturelle.
a.l.
1 : Signalons que le réalisateur de 6 et 12 se trouve depuis 3 mois en chômage à la suite de son exclusion du C.C.M.
Retour au texte2 : Le lecteur se reportera au N° 2 de SOUFFLES (2e trimestre 1966) qui comporte un dossier sur le Cinéma au Maroc.
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Erratum
Les photos page 55-56 du n° 10, 11 de Souffles ont été prises par Ali Noury (au lieu de Melehi) et appartiennent à la photothèque de l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca.