mohammed aziza
pp. 18-22
M. A. Tunisien. 28 ans. Capricorne. A
fait des études: Licence en droit. Licen-
ce ès-Lettres. Doctorat de recherches
« Le Théâtre et l'Islam ». Prépare une
thèse de Sciences Politiques sur « la
théorie du Pouvoir Politique dans
l'œuvre de Shakespeare ». Instable.
Humeurs changeantes. Par exemple :
voudrait aller en Abyssinie pour re-
trouver les traces de la Reine de Saba.
Exemple : Adore le luxe mais exècre
une putain nommée Histoire qui ne
se donne qu'aux plus puissants et aux
plus bêtes (excusez la redite).
En un mot : abuse des anti-phrases et
donne toujours l'impression de parler
d'autre chose alors qu'il est au fond
du problème. Conçoit qu'on le trouve
irritant parce qu'il dérange. D'ailleurs
s'en fout. Au fond, il lui restera tou-
jours les vents purs du grand large...
M. A.indira
0 Indira, ta nudité est l'oméga du monde et ta danse son offrande
indira lyrique.
Pour toi, la déesse Sarasvati joue éternellement de sa « vina », le
tendre poète d'Alaudin Khiji, renaissant de ses cendres, la soutient
de son « sitar » tandis que les battements de son cœur se confondent avec les percussions sourdes et démentes qu'un musicien aveugle tire de son « mridangam » possédé.
Indira, que jaillisse à nouveau et à jamais ton rire impudique.
De toute ma face de verre, je te réfléchis.
j'aimerai multiplier à l'infini ton image brûlante.
Ta peau frémit, mangée par les bouches goulues du rythme.
Ragas du soir et du matin.
Ah !
Je suis un prisme saoul. Je suis l'obsession cinétique, l'ardeur et le
froid, l'érection et la déliquescence, le désir et l'impuissance.
En plongée absolue, par toit ouvrant :
Une femme danse devant un miroir.
Le feu crépite dans la cheminée. Des
statuettes indoues rougissent légèrement.
Est-ce à cause de la lueur de l'âtre ou bien
de la lascivité de la danse ?
Le Gange coule à Bénarès
Son cours est immuable
Fakirs pouilleux et squelettes spongieux
Barbottent salement dans son eau sacrée
Puis vont mourir quelques mètres plus loin
De faim.
Vers le pays des Tarahumara
Fuir
Sans jamais s'arrêter
Voici l'embarcadère
Les mâts crucifient le Ciel
II n'a que ce qu'il mérite
Gonfle tes voiles ô ma frégate
May Flower de toutes les perditions
Chant du Monde
Flotte, oui flotte
Sur le mât de misaine
Noir étendard de ma déraison
Coupons les amarres.
Y en a marre !
Mare aux canards un canard laqué s'il vous plaît goûtez donc cette
soupe aux nids d'hirondelles les hirondelles volent bas quand elles
sentent la pluie maître d'hôtel vous n'êtes qu'un goûtez donc de
cette cuisse exquise et de plus un pas plus que la vôtre madame.
Zut j'en étais aux amarres
Alors coupons
C'est ça oui
Coupons toutes les amarresUn mardi début d'après-midi. Avenue de
l'Opéra. Une cover-girl indoue se promène.
Sans but mais avec un déhanchement intéressant.
Un monsieur. La quarantaine. Intéressé.
Il l'accoste.Visitez le lac Titicaca Air France soleil noir les fabuleux hommes
bleus sur leurs méharas laissez-moi monsieur Gandhi et la non violence l'asphalte luit Détroit brûle Tropique du Cancer l'Islam est compatible avec le socialisme et le voile avec l'émancipation n'insistez pas monsieur vous devenez inconvenant 8 h 1/2 le violon frémit comme un cœur qu'on afflige adieu vive clarté de nos étés trop courts alors à demain 6 heures à la Bûcherie si j'étais Ulysse seriez-vous ma Circé deux martinis garçon les gens marchent comme des aveugles qui voient le Monde le Monde vous avez de bien jolis yeux en amande mélasse encore la guerre au Vietnam adorables jambes page 2 la guerre au Proche Orient d'où venez-vous il manque un zeste de citron les petites annonces comme si j'étais au chômage vous êtes libre la page spectacle Marat-Sade de X... tiens un nouvel auteur je suis la femme d'un maharadja garçon un verre d'eau et moi je suis Héliogabale Faddition son portefeuille est bien rembourré et tous comptes faits le bout de ses doigts me plaît de toutes façons que faire de cet après-imidi pourvu que je n'attrappe pas la chaude-pisse tiens tiens une 204.
Indira, j'aime ta royale impudeur, la démesure de ton appétit et l'architecture savante que, sans cesse, tu inventes à l'intention des corps qui s'emmêlent et s'embrasent dans la couche. Mon regard de glace est témoin de toutes tes turpitudes, de tous les délires que tu inspires. Placide, je t'admire car Indira, adorable catin, tu appliques avec conscience les enseignements sacrés du Kama-Soutra. Et tu sais, ma pourriture adorée, quand tu dresses bien haut tes seins fermes et lisses, pommes d'or du jardin des Hespérides, quand tu emprisonnes le principe mâle dans tes ovaires incandescents, oui tu sais que moi la face de glace, l'étendue asexuée, je brûle pour toi de tous les feux de la damnation.
Quand après l'extase, tu mires en moi ta nudité triomphante, j'ai plus d'une fois saisi ton expression ambiguë qui me nargue et me rend complice.
Reine du vice, ô ma démente, tu sais bien, toi qui crois à la métempsycose que, de toute mon âme de miroir, je suis jaloux. Et pourtant je t'implore à nouveau : qu'à jamais jaillisse ton rire impudique car ta nudité est l'oméga du monde.
« L'univers semble honnête aux honnêtes gens parce qu'ils ont des yeux châtrés. C'est pourquoi ils n'éprouvent aucune angoisse s'ils entendent le cri du coq ou s'ils découvrent le ciel étoile ».
Georges BATAILLE : « Histoire de l'œil ».
Au lendemain d'une nuit d'amour
brûlante, le professeur qui avait
accosté la cover-girl indoue, se
sentit une âme de collégien.
Il lui demanda de devenir sa femme.
Au début, elle rit d'une telle proposition,
s'offusqua même. Mais elle ne dit pas non...
0 Indira, quels sombres pressentiments !
Ce matin là tu t'es longuement regardée en moi.
Et tu n'étais pas nue et ton corps sous le sari
était sage. Et ton regard lourd et si préoccupé...
Les premières rides... Pourquoi
faut-il que la chair trahisse ?
Ce professeur est charmant... mais
puis-je assumer une vie calme ?
« Dans la forêt absente, les crocs de la bête fauve
lacèrent le corps de F oiseau capturé. Ses boyaux
macèrent et son estomac humide concasse les
chairs étonnées et encore chaudes.
Et de ses excréments renaît la vie ».
Du fond de la forêt guatémaltèque,
ainsi parla le miroir de Lida Sal, la jolie mulâtresse éperdument
éprise du fils de don Felipe.Oh ! écoute
Garde toujours ta logique désespérance.
Couve avec tendresse tes affreux blasphèmes.
Sois
avec constance, la mule rétive, la tentation perverse,
le refus inexpugnable.
Que toujours éclatent, sur tes pas, les incendies
libérateurs ! Sois la dévoreuse jamais rassasiée.
0 Indira fleur carnassière
Nulle proie ne mérite, à elle seule, ta lente déglutition
Ni ton suc mielleux et odorant
Ni cette mort-vie qu'à chaque étreinte, tu donnes.
Elle a accepté ma proposition
Elle sera à moi, rien qu'à moi.
0 joie ! Oui mais il faudra faire
accepter ce mariage par la familleLa future belle-mère à son fiston : « Je
te déconseille cette chose exotique : tu
sais bien que tu n'as jamais pu
supporter les épices au Levant ».
Le sort est jeté. J'essaierai de m'habituer
à l'odeur des cuisinières...
Judas
Ignoble vendue
Tu nous a trahis : tes refus, tes blasphèmes, ta nudité, mes extases,
et mon martyre...
Bientôt tu iras vers ta destinée de dimanches familiaux, de patati-
patata départementaux, de péroraisons, de prêchi-prêcha, de torchons, de divans, de cocktails, de vêtements décents, et de devoirs conjugaux noblement acquittés afin que survive l'espèce.
Pouah !
Avant de quitter son studio la
cover-girl, lentement dénudée,
exécute, devant son miroir, une
danse hiératique et violente.
La dernière. Celle de l'adieu.
Les statues rougissent. Le tambour
bat ses flancs avec frénésie.
Te voilà revenue. Danse mon adorée et qu'à jamais jaillisse ton rire impudique. Ne plus nous quitter. Danse. Danse. Danse.
Je suis un prisme saoul. Je suis l'obsession cinétique, l'ardeur et le froid, l'érection et la déliquescence, le désir et l'impuissance...
Danse, danse, danse.
Ah ! J'ECLATELu dans la rubrique des faits divers :
...Hier soir un incroyable accident a coûté la vie à une cover-girl
indoue. Elle a été littéralement poignardée, dans son studio, par
les éclats de verre d'un grand miroir sur pied qui s'est soudain
brisé. Elle a été trouvée, gisant sur le parquet, entièrement nue...
Objets inanimés, avez-vous donc une âme ?
Il y a quatre écoles de danse en Inde : le Bharata Natiyam de Tanjore,
le Khathakali de Malabar, le Kathak du Nord et le Manipuri de l'Est.
Laquelle de ces danses exécutait la cover-girl lorsqu'elle fut
poignardée des mille brisures du verre éclaté ?
Indira, ta nudité est, à jamais, l'oméga du monde
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