position 2
pp. 77-80
l'Association Nationale des Beaux-Arts
Lorsqu'en 1963 naquit l'Association Nationale des Beaux-Arts (A.N.B.A.), nous étions devant une initiative qui devait permettre aux artistes marocains une reconsidération en groupe de leurs problèmes dans un contexte nouveau, adapté aux exigences et aux réalités de la situation plastique au Maroc.
A la veille de la fondation de l'A.N.B.A., il existait au Maroc quelques institutions issues de l'époque du Protectorat (1), notamment : le Service des Beaux-Arts et des Monuments Historiques, le Service des Musées et Antiquités, les musées des Antiquités, les musées des Arts Traditionnels, deux écoles élémentaires de Beaux-Arts (à Tétouan et à Casablanca), l'Ecole des Arts Traditionnels de Tétouan (Dar Essenaa), et des classes d'arts appliqués dans quelques lycées.
L'organisation et l'orientation de la plupart de ces institutions avaient besoin d'être radicalement révisées en fonction de la nouvelle situation culturelle et artistique.
Ainsi, une des premières tâches que l'A.N.B.A. s'était imposée en principe, visait la réorganisation de la politique des arts au Maroc. II fallait pour cela créer un cadre d'activités à la fois pour élaborer cette remise en question et aussi pour s'opposer au paternalisme des missions culturelles étrangères qui encourageaient à l'époque surtout la peinture dite naïve. En dehors de l'interventionnisme des missions, il y avait une carence totale d'activités culturelles notamment dans le domaine plastique. Les institutions étatiques se contentaient de manifestations sporadiques, quelques expositions échangées entre pays « frères » ou « amis », organisées avec beaucoup de hâte et d'improvisation.
Les peintres conscients, et qui désiraient communiquer avec le public se trouvaient ballotés entre le refus des « missions » culturelles, et l'inertie officielle due à l'absence d'un plan national des arts plastiques.La création de l'A.N.B.A. répondait à un besoin de recherche d'un nouveau terrain de travail et de réalisations et à la nécessité de contestation et de revendication.
C'est ainsi que le premier Congrès de novembre - décembre 1964, tenu à Rabat, s'était proposé la révision de l'organisation pédagogique des institutions issues du Protectorat, la constitution d'autres institutions complémentaires et l'application d'un plan national des arts qui prévoierait notamment l'organisation rationnelle et méthodique de la participation nationale aux manifestations internationales. Des résolutions à caractère syndical furent également adoptées :
— droit des artistes au terme d'une législation qui les protège ;
— droit aux concours nationaux ;
— pourcentage sur les réalisations nationales.
L'Association devait donc avoir un caractère national en même temps qu'elle devait être douée d'une formule syndicale capable de la protéger et d'assurer sa continuité.
D'une façon générale, (et l'intérêt de ce premier congrès réside là), l'A.N.B.A. s'arrogeait à partir de ce congrès le rôle de démonter tout le mécanisme du statu-quo politico-social des arts au Maroc et exigeait à la fois des responsables et des simples adhérents une lucidité et une conscience poussées des problèmes culturels qui se posaient au pays.
Mais l'Association se trouva très vite aux prises avec des anomalies et des contradictions qui la réduisirent à l'état d'institution figée, incapable d'assumer les tâches qui justifiaient sa création.
Ceci était dû d'abord aux conditions mêmes dans lesquelles l'Association avait été créée et à l'esprit qui a présidé par la suite aux critères de choix des artistes qui étaient appelés à entamer ensemble l'action que nous venons de décrire.
Le premier congrès, comme le suivant, démontrèrent aux éléments les plus conscients et qui voulaient faire de l'Association un instrument d'action et de revendication qu'aucun travail collectif ne pouvait se réaliser dans ce cadre. L'Association avait rassemblé depuis le départ des éléments trop hétéroclites entre lesquels le dialogue s'avéra impossible, sinon inutile.
Le deuxième Congrès, tenu à Casablanca en 1965, a été organisé essentiellement dans un but d'auto-critique et de mise au point. Il révéla les mêmes contradictions et ne donna aucun résultat. Il marqua définitivement la désagrégation de l'Association.
En l'espace de deux ans, le premier et le second Président avaient démissionné de leurs fonctions. L'A.N.B.A. n'a plus actuellement qu'une existence fantomatique. Elle sert néanmoins de couverture à des peintres-chômeurs-professionnels pour maintenir des activités des plus contestables.
Nous avons demandé à F. Belkahia (premier président) et à M. Chebaa (deuxième président : 1964-65) de nous préciser dans quelles conditions avait été créée FA.N.B.A. et les raisons qui les ont poussés à démissionner de cette association.
BELKAHIA. — La création de l'A.N.B.A. fut une initiative étatique prise à l'occasion de la Rencontre Internationale de Rabat en 1963. Les organisateurs voulaient d'ailleurs, à partir de cette rencontre, instaurer un programme de biennales au Maroc. La plupart des invités étrangers à cette exposition étaient des peintres connus ou bien des personnalités du monde de la critique d'art. Il fallait donc créer un comité d'organisation qui comporte une certaine élite de la peinture marocaine. Les organisateurs voulaient montrer par là qu'il existait au Maroc une situation artistique structurée.
Bien vite, ce Comité se transforma en Assemblée Générale des Peintres Marocains en vue de créer une Association Nationale. On voit donc tout de suite le caractère artificiel d'une pareille institution. D'autre part, les critères selon lesquels on avait contacté et convoqué les peintres pour assister à ce congrès montrent déjà de la part des responsables une totale ignorance de la situation artistique au Maroc. Il n'y avait plutôt aucun critère de choix. Il faut croire que l'Administration centrale des Beaux-Arts avait demandé simplement à ses bureaux régionaux de lui indiquer toute personne ayant une activité plastique.
C'est pour cela que dans la première assemblée générale, 200 « artistes-peintres » environ se trouvaient rassemblés (ébénistes, encadreurs, coiffeurs, peintres naïfs et autres).
SOUFFLES. — Vous avez été à ce moment nommé président de l'A.N.B.A. Deux mois après, vous avez démissionné. Pourquoi ?
BELKAHIA. — Malgré toute cette situation confuse et anarchique, j'avais accepté cette responsabilité, croyant pouvoir l'assainir et agir dans un but constructif. Mais je me suis rendu compte très vite que l'action que je pouvais entreprendre était immédiatement stérilisée par l'arrivisme de plusieurs membres de mon propre comité et de l'Association d'une manière générale. En outre, j'ai senti que je n'avais aucune préoccupation commune avec la majorité des membres de cette association qui ne voyaient en elle qu'une plate-forme de lancement, une source lucrative, un bureau de placement en quelque sorte.
Je crois qu'une action dans le domaine plastique ne peut pas se concevoir à grande échelle. Elle ne peut être constructive que si elle vient de groupes restreints : groupes de recherches de 4 ou 5 personnes qui ont entre eux des affinités réelles. Un mouvement pictural peut se déclencher à partir de ces conditions.
Nous avons organisé (Melehi, Chebaa et moi-même) dans ce sens une exposition collective en 1966. Nous avons voulu donner, en prenant cette décision, l'exemple d'une activité cohérente, non pas pour nous exclure de la situation picturale au Maroc, mais pour inciter peut-être d'autres peintres à se regrouper et à manifester d'autres aspects de la recherche.
SOUFFLES A CHEBAA. — Vous avez, après la démission de Belkahia, repris la direction de l'A.N.B.A. Quelle a été votre action, et pourquoi avez-vous démissionné à votre tour ?
CHEBAA. — J'étais à peine revenu d'Italie lorsque j'ai appris la création de l'Association. J'ignorais à ce moment la situation que vient de décrire Belkahia. Je voyais par contre au début dans l'Association un cadre où il était possible malgré tout de changer l'ordre des choses. Il faut dire aussi que j'espérais que l'existence même d'une association à caractère national pouvait contrebalancer la politique culturelle coloniale et nous doter d'un cadre pour des activités nationales.
C'est dans cette optique que j'ai commencé à préparer avec l'aide d'autres peintres le premier Congrès de l'A.N.B.A. et à élaborer les principes (analysés dans l'introduction) qui pouvaient justifier sa création. Mais j'ai senti bien vite que ma volonté d'action relevait d'un certain idéalisme. Tous les principes que nous avions arrêtés restaient absolument théoriques et se trouvaient démentis par le comportement de la plupart des membres de l'Association.
Maintenant, je vois que ce qui a conditionné le destin de cette association, c'est le fait qu'elle fut une initiative fausse au départ. Elle n'a pas été l'aboutissement d'un besoin réel et d'une prise de conscience collective des problèmes cités plus haut.
C'est pour cela que les efforts prodigués par les rares éléments en vue de donner à l'existence et l'activité de l'Association une fonction cohérente ont débouché sur une impasse.
Je crois maintenant, avec le recul, que nous nous étions engagés dans une entreprise stérile. Tout regroupement ou toute association doivent être le fruit d'une nécessité véritablement ressentie sur le plan social et culturel. De toute manière, dans le domaine des arts plastiques, une association à caractère national risque toujours de tomber dans une activité formelle et surtout officielle.
Nous avons besoin plutôt de mouvements plastiques, de groupements de recherche comme vient de le dire Belkahia.
L'Association a été légalement dissoute en 1966. Malgré cela, il subsiste de pseudo-peintres qui au nom de l'Association maintiennent des activités ou prétendent représenter les peintres marocains vis-à-vis de l'Administration des Beaux-Arts. Ces personnes se permettent même d'organiser des expositions-foires sans l'autorisation des peintres concernés (2).
Nous nous devons d'affirmer encore une fois que nous n'avons plus aucun rapport avec cette association et que les peintres qui s'y sont maintenus ne représentent que leur propre personne.
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(1) Qui subsistent encore presque inchangées.
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(2) Voir notre prise de position dans « Souffles ». N° 4. IV trimestre 1966.
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