mohammed hamidi

pp. 48-52

Né en 1938 à Casablanca


1956-58         Beaux-Arts, Casablanca
1958-59         Année de préparation. Galerie « Grande Chaumière »
1959-60         Ecole des Beaux-Arts, Paris
1960-62         Ecole des Métiers d'Art, Paris
1962-66         Beaux-Arts de Paris
1964              Obtient le certificat d'enseignement d'art monumental,
                      E.N.S. Beaux-Arts, Paris
                      2e médaille en peinture de l'Ecole des Beaux-Arts, Paris
1965              1e médaille en peinture de l'Ecole des Beaux-Arts, Paris
                      1e mention en fresque E.N.S. Beaux-Arts, Paris


EXPOSITIONS


1958             Exposition à Casablanca :
1959             Exposition à l'Ecole des Beaux-Arts de Casablanca
                     Exposition au Centre de la Mission Culturelle de Rabat
1960             Exposition personnelle à Casablanca
1962             Exposition des jeunes peintres allemands à Berlin
1963             Exécution d'une fresque à Toulouse
1964             Participation au « Prix du Dôme » à Paris
                     Participation à l'exécution d'une fresque à l'Ecole Polytechnique de Paris
                     Exposition personnelle à la Galerie Klein, Cologne
                     Exécution d'une fresque à Bad-Godesberg (Allemagne)
                     Exposition au Centre Culturel de San Francisco (U.S.A.)
1965             Exécution d'une fresque à Bonn
                     Exposition personnelle à la Galerie H.A.N.S., Dusseldorf
1966             Exposition personnelle à la Galerie Max à Berlin
                     Exposition des jeunes peintres français et étrangers à la
                     Galerie des Beaux-Arts, Paris
1967             Exposition personnelle à la Galerie Club « A », Munich
                     Exposition : Rencontre des jeunes peintres maghrébins à
                     la Maison du Maroc, Paris
                     Exposition pour les victimes palestiniennes - Foyer franco-libanais, Paris


Réside à Casablanca

1


     Le premier choc qui m'a ouvert à des recherches personnelles fut une exposition de Van Gogh que j'ai vue à Paris en 1959.
     A ce moment-là, ma culture artistique était sommaire.
     Cette exposition m'avait montré tout ce qu'il me restait encore à faire pour acquérir une forme d'expression personnelle.

     Ce qui m'avait frappé dans la peinture de Van Gogh, c'était d'abord la sobriété, l'assurance et la maîtrise avec lesquelles les sujets étaient traités, la minutie de recherche dans la couleur. Une sorte de transcendance dans la simplicité.

     Après une année d'errance et de fréquentation de musées (j'arrivais du Maroc, j'étais assoiffé de connaissances), je me suis inscrit à l'Ecole des Métiers d'Art. Mais au bout de deux ans, j'ai dû quitter, car je ne pouvais pas m'accommoder d'une discipline rigoureuse. En outre, l'Ecole des Métiers d'Art permettait beaucoup plus l'acquisition d'un métier et d'une spécialisation technique que des possibilités pour une vocation artistique.
     Je suis entré à l'Ecole des Beaux-Arts de Paris en 1962. J'eus alors enfin la possibilité de travailler en toute liberté.
     La fréquentation de galeries, les voyages et les contacts que j'ai entrepris à ce moment-là m'ont ouvert d'autres champs d'investigation. J'ai découvert la peinture de Matisse, P. Klee, R. Bissière.

     J'appréciais d'abord ces peintres pour leur discrétion. A une époque où il y avait une course pour la gloire, ces peintres menaient par-dessus tout la recherche. Je suis personnellement très sensible aux qualités humaines chez l'artiste. Sur le plan purement plastique, ce qui m'attirait chez eux, c'était la simplicité par laquelle ils traitaient les grands espaces, un travail à plat, dénué de perspective (surtout chez Klee et Bissière), la douceur profonde des couleurs et, d'une manière générale, l'absence de provocation dans leur travail. Il y a chez eux un refus du scandale et une volonté de communi-cation très simple, ce qui la rend plus intense. Ces peintres menaient des recherches strictement picturales et avaient conscience d'un travail médité et programmé.

     Ces recherches et cette discipline correspondaient à mon propre tempérament et à ma méthode de travail. La peinture pour moi n'est pas une provocation, mais une activité interne dont la portée est toujours à long terme.

     J'ai commencé alors à mener un travail personnel dans lequel je ne voulais rien devoir à personne. Car si j'avais été attiré par ces œuvres, c'est parce qu'elles rejoignaient une expression que je développais moi-même (sans qu'elle soit tout-à-fait consciente). Expression d'une certaine plastique de la nature et de la terre marocaines. C'est pourquoi les recherches de P. Klee, qui m'ont le plus arrêté, furent surtout celles qu'il a réalisées après son fameux contact avec le Maghreb et le Moyen Orient.

     Je suis paysan de nature. Et j'essaie d'exprimer ce que je porte en moi, une mystique de la terre et de la lumière.

     Lorsqu'on observe attentivement la campagne marocaine, on constate que toute ligne est détruite par les rayons solaires. On ne distingue pas les contours. Seule la couleur compte. La nature humaine et physique s'organise en taches colorées. Une forme donnée devient une masse qui émerge de la terre, surtout dans les moments de chaleur où les vibrations lumineuses ajoutent encore plus de mouvement à cette vision. Il n'y a pas de masses immobiles.
     Dans mon travail, il n'y a pas non plus de taches unies. Les couleurs ne sont pas tranchées. J'essaye toujours de recréer un mouvement vibratoire une sonorité de l'espace. Les formes et les masses sont en mouvement constant.
     Ainsi même si la composition part d'une réalité physique, aucune image visuelle immédiatement perceptible n'y est représentée. Je procède de la perception à l'imagination pour arriver à briser l'image reçue et la recombiner dans une composition non-représentative. J'arrive à donner une structure conceptuelle à des formes naturelles en les soumettant à un jugement intellectuel.

     Mais la réalité est aussi une nature organique dont il faut recréer la vie sur la toile. C'est pour cela que mon contact avec la toile est aussi physique. Tentative de pénétration dans un espace vierge. C'est un contact sensuel. Il s'agit de pénétrer pour insufler et recréer la vie. Il faut alors toute une concentration pour éviter l'impuissance. Je travaille avec beaucoup d'acharnement la toile jusqu'à l'épuisement.

     Les couleurs comme les formes possèdent des effets physiques (comme c'est le cas pour les sons). Mais les réactions qu'elles peuvent provoquer ne s'arrêtent pas à l'animalité. Elles sont aussi esthétiques et spirituelles.

2

     L'art arabo-musulman, d'une part, constitue pour moi la nostalgie du désert, la rêverie, la poésie des choses. Il fut le fruit d'une vie nomade, même dans ses implantations. Civilisation de l'attente.
     Je suis évidemment concerné par cet art qui a pratiqué l'exclusion de la figuration : filaments combinés de l'arabesque sans début ni fin, géométrie régulière (carrés, losanges, polygones) qui furent introduits au contact de civilisations agraires et qui ne résistèrent pas au souffle qui emporte toutes les formes en une répétition illimitée et obsédante.

     D'autre part, la découverte de l'art rural marocain m'a beaucoup impressionné. Il y a dans cet art une grande puissance d'expression, une rigueur qui s'effectuent par des moyens très simples.

    Le foyer se trouve dans l'espace pictural lui-même et tous les éléments visuels contribuent à l'organisation de cet espace.

     Mais je dois dire que ce contact est encore à ses débuts. J'ai été absent du Maroc pendant 9 ans et il me faudra une période de réadaptation qui me permettra de me retremper dans nos réalités. Je pourrai alors approfondir cette connaissance et voir plus objectivement dans quelle mesure cette tradition me concerne en tant que peintre. Car il ne s'agit pas de retomber dans des erreurs que nous condamnons. La revalorisation de notre patrimoine artistique ne doit pas nous conduire à faire une autre forme d'art naïf.
     Il s'agit d'utiliser cette tradition, mais la dépasser car nous sommes à une époque qui a d'autres exigences sur le plan de l'art.

3

Il faudrait que cette peinture renoue avec nos traditions, se nourrisse d'abord des valeurs proprement nationales dans tous les domaines. L'action du peintre ne doit pas se limiter à la création.

     Au lieu de s'en tenir uniquement à « l'univers créateur », la peinture pour moi se doit de dénoncer les conditions qui empêchent la communication entre les hommes. Il faudrait pour cela que la peinture ne se limite pas à un cercle de privilégiés mais fasse partie intégrante de la vie collective.
     La peinture joue un rôle à la fois culturel et social. Elle peut intervenir dans de multiples secteurs de la vie économique et sociale.

     Pour participer à l'édification d'une culture nationale, la peinture au Maroc doit être une recherche totalement neuve. Il nous faut donner à la création plastique des assises révolutionnaires. Il s'agit en effet de lutter contre un préjugé qui pèse sur l'ensemble du Tiers-Monde et qui consiste à ne voir dans son art qu'une expression de l'homme primitif.

4

Nous manquons au Maroc de moyens mis à la disposition des artistes afin de faire connaître leurs œuvres et vulgariser leurs moyens d'activité : salles d'expositions, compréhension de la part des responsables et des milieux intellectuels qui ont encore une conception très étroite de l'art et de l'artiste.

     Or, nous avons énormément de possibilités. Ce qu'il faut, c'est les exploiter au maximum. J'estime que nous en sommes à un point de départ et qu'il importe d'en prendre conscience.

     Il s'agit d'engager un dialogue avec toutes les couches de la population. Plusieurs facteurs peuvent favoriser ce dialogue.

     D'abord, une collaboration entre architectes et peintres. Notre pays est le pays idéal pour l'art monumental (un exemple frappant de cette collaboration architectes-peintres nous est donné par le Mexique). Cette expérience commence à être appliquée en Europe. J'ai eu l'occasion de participer à ce travail (exécution de fresques à l'étranger).

     Les moyens audio-visuels peuvent jouer un rôle prépondérant dans ce domaine. Il faut, et cela me semble capital, que le public se rende compte qu'à côté des modes d'expression culturels comme le théâtre, la poésie, la musique, il existe une forme d'expression aussi valable qui est la peinture. Emissions-débats, interviews, projections, pourraient vulgariser les problèmes de l'art (traditionnel et actuel), diffuser petit à petit une éducation visuelle du grand public et faire prendre conscience du rôle que peut jouer la peinture sur le plan économico-social et culturel.

     Mais cette éducation peut se faire partout. Dans les musées à caractère national ou des musées régionaux où seront exposés les objets artistiques locaux. Dans la rue enfin. Et pour cela, je choisirai un tout petit exemple, celui de la vitrine.
     La vitrine peut jouer un rôle d'éducation visuelle autant qu'un musée. C'est un moyen de communication immédiat, à la portée de tous, qui permet de lutter quotidiennement contre la déformation psychique et visuelle de notre public. Les vitrines peuvent être agencées, par exemple, en fonction de manifestations culturelles purement populaires (Achoura, jouets d'enfants ; l'Aïd el Kébir, costumes ; etc...). Tout en aidant à créer une atmosphère de manifestations collectives authentiques, elles serviront en même temps de réservoirs vivants d'éducation visuelle.

     Les moyens d'action sont donc nombreux. Ce travail sera d'ailleurs pour l'artiste lui-même la meilleure occasion d'épanouissement, car il sentira que, par son instrument propre d'expression, il participe en fait à la transformation de la culture et de l'existence fondamentale de tout un peuple.